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nous ne songerions pas à nous plaindre, si ce vide était rempli par un nombre suffisant de caractères ; malheureusement il n’en est que trois qu’on puisse signaler. L’oncle Million, qui est le personnage central de la pièce, celui autour duquel tourne l’action tout entière, n’a qu’une physionomie banale. Il représente dans cette pièce le Deus ex machinâ chargé de dénouer les difficultés et de permettre au drame de finir heureusement. Le notaire et le poète sont deux personnages de convention ; ils ne représentent pas deux individus, mais les deux termes d’une même antithèse. M. Bouilhet a introduit dans sa pièce un certain personnage épisodique, un petit vieillard intrigant et affairé, espèce de courtier officieux comme la province en produit souvent, mais dont on ne comprend pas l’utilité. Les caractères bien étudiés et dans lesquels M. Bouilhet a concentré tout ce qu’il a observé de la nature bourgeoise sont ceux de M. Rousset et de Mme Dufernay. L’étude n’est pas très profonde, mais elle est vraie, et elle est prise dans une bonne moyenne de cette nature humaine intermédiaire qui s’appelle la nature bourgeoise.

Somme toute, cette pièce est un progrès sur les précédentes productions dramatiques de l’auteur, car il y a montré des qualités que nous ne lui connaissions pas. Il a gagné en force, en sobriété, et prouvé que son talent était capable de souplesse. Plusieurs fois il a rencontré quelques traits de bonne comédie. Qu’il tienne ferme ce pan de la robe de la muse comique qu’il est parvenu à saisir, et s’il se peut, qu’il ne la laisse plus échapper. De toutes les muses, c’est la plus familière en apparence, c’est la moins facile en réalité : elle n’accorde ses faveurs qu’à ceux qui les méritent par une grande imagination unie à un solide bon sens, les deux qualités qu’il faut à tout poète dramatique, et que je souhaite à M. Bouilhet.

Émile Montégut.

Avant que nous puissions nous occuper très prochainement des nouvelles merveilles que les théâtres lyriques ont déjà présentées au public de Paris, nous voulons recommander encore aux lecteurs de la Revue quelques publications musicales qui ne sont pas dépourvues de mérite. Un éditeur intelligent et fort zélé pour les intérêts des artistes, qu’il aime volontiers à grouper autour de lui, M. Heugel, a publié avec beaucoup de soin la partition réduite pour piano et chant de la Sémiramis de Rossini, telle qu’on l’exécute à l’Opéra. Cette partition de l’un des plus beaux chefs-d’œuvre de musique dramatique qu’ait produits l’école italienne, où la traduction de M. Méry est contrôlée par le texte italien qui l’accompagne, contient deux beaux portraits lithographies du divin maestro, l’un qui le représente à l’âge heureux de vingt-huit ans, le sourire sur les lèvres et les yeux remplis des étincelles du génie, l’autre qui le reproduit tel que nous pouvons le voir chaque jour, jouissant en paix d’une gloire incontestée et impérissable. La Semiramide a été donnée tout récemment au Théâtre-Italien avec un bonheur d’exécution qui a vivement ému les auditeurs. Si Mme Penco n’a pas toute la puissance de voix et la splendeur de vocalisation qui seraient nécessaires pour interpréter ce grand rôle de la reine de Babylone, elle se fait par-