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qu’il avait passé plusieurs jours à Londres, qu’il avait en une conférence dans une maison de Pall-Mall avec une cinquantaine de jacobites, au nombre desquels se trouvaient le duc de Beaufort, le lord Somerset et le comte de Westmoreland ; on croit même qu’il renouvela cette visite deux ou trois ans après. Cette vague tradition a été consacrée par Walter Scott ; le grand romancier, dans son Redgauntle, a raconté ces dernières et mystérieuses tentatives du prétendant, comme il avait peint dans Waverley l’éclatante levée d’armes de 1745. Au milieu de cette vie errante, Charles-Edouard avait auprès de lui une compagne dont ses amis avaient essayé vainement de le séparer. Miss Clémentine Walkinshaw était fille d’un serviteur dévoué de Jacques III et filleule de Marie-Clémentine Sobieska ; le jeune prince la trouva en Écosse au milieu de ses aventures guerrières. Jeune, belle, ardemment aimée, elle ne résista pas à un amour qu’environnaient tant de prestiges. Lorsque Charles-Edouard, après tous ses malheurs, fut revenu sur le continent, miss Walkinshaw s’empressa de le rejoindre et s’attacha fidèlement à ses pas. On la prenait pour sa femme légitime ; elle portait son nom, faisait chez lui les honneurs, et pendant son séjour à Liège, en 1753, elle lui donna une fille qui fut appelée Charlotte Stuart. Les partisans du prince déploraient cette situation ; comment pouvait-il oublier ainsi ses devoirs, au lieu de préparer le succès de sa cause par un mariage digne de lui ? Ajoutez que miss Clémentine était suspecte aux principaux chefs jacobites. Sa sœur était attachée à la maison de la princesse de Galles, et l’on affirmait que bien des plans, bien des secrets de Charles-Edouard et de ses amis avaient été livrés par elle au gouvernement anglais. Trahison ou légèreté, peu importe, la compagne de Charles-Edouard était devenue odieuse à son parti. La chose alla si loin, qu’un des agens les plus dévoués des Stuarts, l’Irlandais Macnamara, fut expressément chargé par ses compagnons d’aller faire des représentations au prince et d’exiger de lui, au nom de tout un parti, l’éloignement de sa maîtresse. Charles-Edouard était fier ; cette injonction, si respectueuse pourtant, et dont la liberté même attestait un tendre dévouement à sa personne, l’irrita profondément. « Je ne reconnais à personne, dit-il, le droit de se mêler de mes affaires personnelles. On ne profitera pas de mes infortunes pour me faire la loi. C’est pour moi une question d’honneur. J’aimerais mieux voir ma cause à jamais perdue que de faire le moindre sacrifice à ma dignité. » Macnamara, en se retirant, ne put contenir l’expression de sa douleur et de son blâme. « Quel crime, lui dit-il amèrement, quel crime a donc commis votre famille pour avoir ainsi de siècle en siècle attiré la colère du ciel sur tous ses membres ? »