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journées vers Rome, où ils firent leur entrée le 22 avril. Ce fut presque une entrée royale. Charles-Edouard, depuis six ans, était en instance auprès de la cour de Rome pour obtenir la reconnaissance de son titre de roi, comme son père l’avait obtenue naguère du pape Clément XI. Espérant toujours que le souverain pontife finirait par lui accorder cette faveur, dont Jacques III avait joui pendant quarante-huit ans, il n’avait rien négligé pour maintenir son rang dans une occasion aussi solennelle. Quatre courriers galopaient devant les équipages ; puis venaient cinq voitures attelées de six chevaux, la première, où se trouvaient le prince et la princesse, les deux suivantes, réservées à la maison de Charles III, les deux dernières au cardinal d’York et à ses gens. Une foule immense se pressait sur leur passage ; les étrangers, les Anglais surtout, si nombreux à Rome, se mêlaient avidement à une population toujours curieuse de ces spectacles, et l’on peut dire que l’entrée de Charles III avec sa jeune femme dans la capitale du monde catholique fut un des événemens de l’année 1772, événement d’un jour, et bien vite oublié. Ce bruit, cet éclat, ce concours du peuple, tout cela ne valait point pour Charles-Edouard un simple mot tombé de la bouche du pape. Vainement fit-il notifier au cardinal secrétaire d’état l’arrivée du roi et de la reine d’Angleterre ; on n’était plus au temps de Clément XI, et le sage Clément XIV, assis alors sur le siège de saint Pierre, ne voulait pas exposer le gouvernement romain à des difficultés graves pour l’inutile et dangereux plaisir de protester contre les arrêts de l’histoire.

Lorsque le président de Brosses, en 1739, visitait la ville de Rome, il pouvait dire à propos du fils de Jacques II, père de Charles-Edouard : « On le traite ici avec toute la considération due à une majesté reconnue pour telle. Il habite place des Saints-Apôtres, dans un vaste logement. Les troupes du pape y montent la garde comme à Monte-Cavallo, et l’accompagnent lorsqu’il sort… Il ne manque pas de dignité dans ses manières. Je n’ai vu aucun prince tenir un grand cercle avec autant de grâce et de noblesse[1]. » En 1772, il n’y avait plus à Rome de roi d’Angleterre reconnu par le saint-siège, il n’y avait plus de garde papale à la porte de son hôtel, plus de cortège militaire pour l’escorter par la ville ; le prétendu Charles III était simplement Charles Stuart, ou bien encore le comte d’Albany, comme il se nommait lui-même dans ses voyages. Quant à la reine Louise, le peuple romain, pour ne pas lui enlever tout à fait sa royauté, l’appelait la « reine des apôtres, » du nom de la place où était situé le palais Muti, occupé depuis un demi-siècle par les descendans de Charles Ier. Elle aurait pu être la reine des salons de Rome,

  1. Lettres familières écrites d’Italie en 1739 et 1740, t. II, p. 94, édit. Didier, Paris 1860.