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s’il y avait eu à Rome des salons ou le roi et la reine d’Angleterre eussent pu maintenir leur rang. Plus tard, auprès d’un des rois de la poésie, la princesse Louise retrouvera sa royauté perdue ; elle aura une cour d’écrivains et d’artistes, elle distribuera des grâces, et le chantre des Méditations, jeune, inconnu, d’une voix timide, ira lire et faire consacrer ses premiers vers dans le royal salon de la comtesse d’Albany. En attendant ces jours de fête, les prétentions de Charles-Édouard la condamnaient à l’isolement.

Est-il vrai, comme le dit M. de Bonstetten, qui la vit en 1774 dans le palais de la place des Apôtres, est-il vrai qu’elle trouvât les Romains bien ennuyeux ? Ce qui causait surtout son ennui, c’était la vie de Rome telle que la lui imposait sa situation de reine non reconnue. De 1772 à 1774, ce fut une pauvre cour que la cour du palazzo Muti. « On y voit, dit M. de Bonstetten, trois ou quatre gentilshommes avec leurs femmes, amis fidèles à qui le prétendant raconte pour la centième fois ses aventures de la campagne d’Ecosse. La reine, de moyenne taille, est blonde, avec des yeux d’un bleu foncé ; elle a le nez légèrement retroussé et un teint d’une blancheur éclatante, comme celui d’une Anglaise. Sa physionomie, aimable et vive, a quelque chose d’espiègle et de provoquant. » Se figure-t-on bien cette jeune femme espiègle dans cette cour de vieux jacobites ? Elle riait de son rire le plus franc, dit encore M. de Bonstetten, lorsque Charles-Édouard racontait qu’il avait été obligé de se déguiser en femme pour échapper aux espions du duc de Cumberland. Je veux bien que l’histoire fût plaisante ; à la longue cependant, l’intérêt devait s’affaiblir. Tandis que ces éternelles narrations occupaient la cour solitaire du palais Muti, la société romaine offrait un spectacle plein de vie et de mouvement. C’était l’époque où se préparait la suppression des jésuites. Jamais la diplomatie n’avait été plus active, plus brillante, jamais elle n’avait joué à Rome un rôle si curieux et si considérable. À sa tête marchaient les deux ambassadeurs d’Espagne et de France, don Joseph Moñino, le futur comte de Florida-Blanca, et ce sémillant cardinal de Bernis, qui, dans ses fêtes magnifiques, enseignait si spirituellement à l’aristocratie romaine les élégances de Paris et de Versailles. L’enthousiasme des arts, le culte des grands monumens du passé, étaient toujours la passion d’une société d’élite. Le pape Clément XIV, malgré la simplicité de ses goûts, avait servi efficacement cette passion tout italienne : c’est à lui qu’appartient l’honneur d’avoir commencé l’établissement de ce musée incomparable, la gloire du Vatican. Des fouilles importantes accomplies sous son règne avaient arraché à la poussière des siècles les plus précieux trésors. Jean-Baptiste Visconti, inspecteur des antiquités et directeur des fouilles depuis la mort de Winckelmann, était le conseiller de Clément XIV, on pourrait