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du saumon dans nombre de rivières de France seraient pleinement justifiées, et la possibilité du retour à cet état de choses ne serait plus l’objet d’un doute : il serait démontré que l’épuisement de nos rivières ne vient pas de la mer, mais de notre incurie, et qu’il n’est par conséquent pas irrémédiable.

La pêche du saumon constitue une des principales richesses naturelles du royaume-uni ; aussi y a-t-elle été l’objet constant des soins des propriétaires des cours d’eau et de l’attention du gouvernement. Les enquêtes anglaises sont généralement faites, avec une intelligence et un à-propos également profitables, aux intéressés, qu’elles éclairent sur les dangers ou les avantages de leur position, et à l’autorité, qui doit en tirer les conséquences légales : aussi a-t-on l’habitude d’y vaquer avant les mesures à prendre, et non pas, comme dans d’autres pays, après les mesures prises. En 1824, la chambre des communes a ordonné une enquête sur la pêche du saumon, et il en est ressorti des lumières tout à fait inattendues sur les moyens d’assurer la multiplication de ce poisson. Les détails instructifs passés en revue par les commissaires de l’enquête ont mis en relief trois faits dominans. Il a été constaté que le saumon remonte les rivières pour frayer ; c’est près de leurs sources qu’il dépose et féconde ses œufs : chaque femelle porte environ six mille œufs. Les éclosions ont lieu une centaine de jours après la ponte. De là viennent, aux approches du printemps, ces myriades de petits saumoneaux[1] qui, après un séjour de quelques semaines, disparaissent ensemble, sans que les riverains en sachent toujours l’origine et la destination. En second lieu, le saumon est d’une remarquable fidélité aux lieux de sa naissance ; on s’en est convaincu en Écosse par des expériences réitérées : on a vu des saumons, marqués, à l’emporte-pièce dans les nageoires, revenir avec constance à leur point de départ, et montrer ainsi qu’en ensemençant le haut d’une rivière, on assure le peuplement de tout son cours. Enfin le saumon est doué d’une force musculaire très grande, il remonte les courans les plus rapides, franchit même en s’élançant des obstacles verticaux ; mais cette force a des limites, et quand les constructions hydrauliques placées en travers des cours d’eau ne sont pas mises à sa portée, elles en excluent complètement ce poisson.

On a prouvé en Angleterre ce qui n’était qu’entrevu chez nous ; mais, pour tirer les conséquences des trois points admis, revenons aux pêcheries de la France, si riches autrefois, aujourd’hui si stériles. Nous ayons tous entendu raconter qu’en Écosse les domestiques stipulent dans leurs contrats de louage les jours de la semaine

  1. Dans le bassin de la Loire, les saumoneaux portent le nom de tacons.