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deux pays, seront rétablis, et donneront un gage de plus à la sécurité de l’Europe, ou nous saurons définitivement à quoi nous en tenir, et pourrons agir en conséquence, libres de tout scrupule, déchargés de toute responsabilité.

« Je n’ai rien autre chose à vous mander, monsieur, qui, dans un pareil moment, pût avoir de l’intérêt pour vous. J’ajouterai toutefois que, voulant rendre impossible que la prolongation de mon séjour ici servît de motif ou de prétexte aux déterminations de l’empereur, je n’ai vu aucun inconvénient à annoncer mon prochain départ à M. de Nesselrode dès notre première entrevue. J’ai eu soin de dire que le triste état de santé de Mme Périer m’avait seul déterminé à solliciter le congé que j’avais obtenu. »


« Le même au même.

« Saint-Pétersbourg, 4, août 1842.

« Monsieur,

« J’ai maintenant acquis la certitude que l’empereur n’a écrit aucune lettre, et je sais avec exactitude tout ce qui s’est passé à Peterhof. Les instances faites auprès de lui ont été plus pressantes encore que je ne le pensais. L’opinion de la famille impériale, de la cour, des hommes du gouvernement, était unanime ; tous ont trouvé une volonté de fer, un parti-pris, un amour-propre et un orgueil excessifs. L’empereur a repoussé tout ce qu’on lui a proposé, tout ce qui aurait eu à ses yeux l’apparence d’un premier pas. « Je ne commencerai pas ! » sont les seuls mots qu’on ait obtenus de lui. À la demande du renvoi de M. de Pahlen à Paris, il n’a cessé de répondre : « Que M. de Barante revienne, et mon ambassadeur partira. »

« A côté de cela, comme l’empereur a senti que sa conduite n’était pas approuvée, comme il sait que le vœu unanime appelle le rétablissement des relations entre les deux cours, il a affecté le plus convenable langage ; il a cru que quelques mots tombés de sa bouche, que quelques paroles inofficielles et sans garantie, portées à Paris par Horace Vernet, que l’envoi d’un aide-de-camp du comte de Pahlen, au lieu d’un courrier ordinaire, pour remettre une dépêche à M. de Kisselef, il a cru, dis-je, que tout cela suffirait peut-être pour déterminer des avances. S’il ne l’a pas cru, il l’a voulu tenter. Il a mesuré avec parcimonie chaque geste et chaque mot ; il a tracé avec soin les limites où il se voulait renfermer. Il voit là une merveilleuse adresse, et ne comprend pas tout ce qu’il y a de peu digne d’un souverain dans ces subterfuges et ces calculs. Telle est son habileté, telle est sa tactique, telles sont ses illusions.

« Vous seriez surpris, monsieur, de voir avec quel mécontentement