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que la mort soit instantanée, est sans doute pour beaucoup dans les effets des procédés de nos voisins ; l’importance qui lui est attribuée dans la préparation des bêtes de boucherie indique assez quelle influence le procédé du pêcheur hollandais peut exercer sur la valeur du poisson. Il ne se contente pas de la mort des harengs, il les saigne et les vide immédiatement.

Il serait puéril de remarquer que ce qui est vrai du poisson de mer doit l’être du poisson d’eau douce, mais on peut se passer de raisonner par analogie quand il existe des expériences directes. En Angleterre et en Écosse, où la pêche de la truite a des clubs et des assemblées délibérantes édictant des règlemens toujours religieusement observés, les préparations du poisson ont été l’objet d’études approfondies ; les anciens usages ont été recueillis, critiqués, amendés, suivant les leçons du raisonnement et surtout de l’expérience. Tout poisson pris a le ventre immédiatement fendu avec le tranchant de l’acier, reçoit deux incisions longitudinales dans les muscles du dos, et en cet état est plongé dans l’eau fraîche pendant cinq ou dix minutes. Ce procédé a le nom de crimping. Le célèbre chimiste sir Humphry Davy avait été dans sa jeunesse un pêcheur à la ligne émérite, et dans ses dernières années il a publié, sous le titre de Salmonia, un cours complet de la pêche des diverses familles de salmonées. Il y recommande expressément la pratique du crimping. Ainsi dans toutes les sociétés de pêcheurs méthodiques et réfléchis on s’est attaché à tuer le poisson pendant qu’il a encore toute sa vigueur.

Observé de temps immémorial chez les peuples Scandinaves, l’usage du crimping a probablement été importé par eux dans les îles britanniques lors de leurs premières invasions. Il est peut-être encore plus ancien sur un point fort connu des bords du Rhin. Le saumon des pêcheries de Saint-Goar est réputé fort supérieur en qualité à celui qui se pêche au-dessus et au-dessous. Les pêcheurs en effet non-seulement y tuent le saumon en lui transperçant rapidement le cerveau avec une grosse aiguille d’acier, mais ils ne le tuent qu’après lui avoir donné le temps de se remettre dans des viviers des efforts faits et des angoisses éprouvées dans le filet ; ils prétendent reconnaître d’abord à l’aspect de la chair si le poisson est mort rétabli ou non de sa fatigue. Les pêcheries de Saint-Goar ont été jusqu’à la révolution un domaine des petits souverains ecclésiastiques qui s’étaient partagé au moyen âge les bords du Rhin, et il n’est pas étonnant que des hommes d’esprit et de savoir qui n’avaient peut-être en ce bas monde d’autres plaisirs que ceux de la table y aient introduit des raffinemens dont ne se seraient pas doutés de grossiers burgraves.

Les lecteurs pourraient se contenter des autorités populaires qui