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celles des poissons ? Pourquoi pas ? Les poissons ne sont-ils pas des créatures douées de sensibilité, et s’ils n’ont pas la parole, n’est-ce pas une raison de plus de la prendre pour eux ? Sydney Smith, le grand humoriste anglais, dénonça un jour à son pays une association nombreuse, comptant des affilies dans les classes les plus respectées de la société, et qui s’était constituée uniquement pour accrocher des animaux vivans à des crampons aigus et se réjouir au hideux aspect des convulsions et des tressaillemens de ses victimes. Aussitôt un cri d’indignation retentit d’un bout à l’autre de l’Angleterre, et on somma le dénonciateur de donner des indications précises sur une bande de cannibales dont la seule présence déshonorait le pays… Il répondit qu’il avait entendu désigner le club des pêcheurs à la ligne, et l’agitation qu’il avait excitée se termina par un long éclat de rire. — Je voudrais avoir le talent et le crédit de Sydney Smith pour plaider la cause de créatures que nous livrons si mal à propos aux souffrances de longues agonies : c’est à nos dépens que nous les faisons ainsi souffrir, et la question posée sur la mort du poisson intéresse notre égoïsme autant qu’elle devrait toucher notre pitié.


V. — PHOSPHATES EGARES.

« Seigneur, lit-on dans la Bible, vous avez tout disposé dans ce monde par mesure, par nombre et par poids[1]. » Cette expression si précise de l’organisation de l’univers est restée pendant trois mille ans sous les yeux des hommes comme un livre fermé. Le premier, Newton ouvrit le livre et marcha, par la généralisation des faits mécaniques les plus vulgaires, à la découverte des lois de la pondération des corps célestes ; Laplace, après lui, condensa les conditions de l’équilibre, du système planétaire dans des formules d’une si rigoureuse justesse qu’en les appliquant de nos jours à quelques observations éparses, on détermine les orbites des astres inaperçus dont il affirmait l’existence. La lumière qu’a jetée l’astronomie dans les profondeurs du ciel, la chimie la porte aujourd’hui dans, les mystère de la composition des corps. C’est aussi par poids et par. mesure que se combinent les élémens des corps, et quelques-uns de ces élémens, indispensables aux fonctions de la vie, ne se remplacent ni ne se suppléent dans l’économie animale. Libres, ils sont en suspension dans l’air, dans les eaux, ou latens dans le sein de la terre : les organes des plantes et des animaux ont une merveilleuse aptitude à les saisir dans le courant des molécules assimilables et à s’en approprier ce qui est nécessaire à leur existence ; ils les transforment

  1. Omnia in mensura et numero et pondere disposuisti Sap. XI, 21).