Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forestiers ? Peu importe : c’était souvent par des raisons de cet ordre que se décidaient dans les conseils de Louis XV des affaires beaucoup plus importantes. La puissance des faits accomplis est quelquefois si grande dans notre pays que, lorsque les finances se réorganisaient sous le consulat, le bizarre enchevêtrement d’une police de la pêche séparée de celle des eaux fut maintenu. La loi du 14 floréal an X a laissé à l’administration des forêts l’affermage de la pêche dans les eaux navigables et flottables. Les effets de cette complication ne pouvaient être bons nulle part : ils devaient l’être moins qu’ailleurs sur les eaux artificiellement navigables. L’immixtion d’agens forestiers parmi les agens de la navigation, qui, les yeux toujours ouverts sur l’eau, ne devaient pourtant rien voir de la pêche, était inutile toutes les fois qu’elle n’était point nuisible. Un décret du 23 décembre 1810 fit passer aux ponts et chaussées la régie de la pêche dans les canaux, et une décision ministérielle de 1831 assimila sous ce rapport les tronçons de rivières canalisées aux canaux. Cette fois encore on restait à moitié chemin dans l’application d’un principe indivisible. Quoi qu’il en soit, 4,975 kilomètres de lignes navigables furent de la sorte détachés du domaine ichthyologique de l’administration des forêts, qui conserve encore la police de la pêche sur 6,820 kilomètres d’eaux courantes, dont la police propre appartient d’ailleurs à l’administration des ponts et chaussées.

Une carte de la France que j’ai sous les yeux distingue par des teintes opposées les eaux, soit navigables, soit flottables, où la police de la pêche est confiée ici à l’administration des forêts, là à celle des ponts et chaussées. Rien n’est si propre que la bigarrure officielle de ce document à mettre en relief les anomalies qui naissent de l’absence de tout principe dans un partage d’attributions. Prenons un exemple au hasard. De Digoin à Briare, la Loire est côtoyée par son cariai latéral sur une longueur de 191 kilomètres ; les deux lignes navigables sont le plus souvent en vue l’une de l’autre. Le personnel chargé de l’entretien du canal y règle les conditions et y surveille la pratique de la pêche. Sur le lit adjacent de la Loire, il y a aussi un personnel chargé des travaux hydrauliques et de la police des eaux ; mais il lui est interdit de regarder au poisson, et ce soin appartient à un autre personnel, celui qui régit les forêts étagées à quelques lieues de là, sur les pentes montueuses du Morvan. Dans les rivières canalisées, telles que le Doubs ou la Saône au-dessus de Gray, les tronçons alternatifs du lit naturel et du lit artificiel rassortissent à des fonctionnaires, à des directions générales, à des ministères différens… Fort heureusement les uns ni les autres ne se préoccupent outre mesure de l’aménagement de la pêche, sans quoi l’on n’entendrait parler que de leurs débats.