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soigneusement et rajuster ensemble pour reformer l’édifice, en partie solide, en partie fantastique, mais grandiose et original, de sa philosophie. On sait d’ailleurs qu’une correspondance étendue et une lecture immense fournissaient à cet esprit presque universel des occasions toujours renaissantes de jeter en passant une critique, un amendement ou un développement de la pensée d’autrui qui devenait un nouveau spécimen de la sienne, quelquefois un complément de son système. Plus d’un passage isolé, perdu dans une apostille ou un post-scriptum, répand, autant de lumière sur le fond de sa doctrine que des pages entières plus savamment étudiées. C’est ce qui le rend assez difficile à bien connaître. Il ne se résume jamais. Il y a, si je l’ose dire, du journaliste en lui. Il se prodigue un peu au hasard ; peut-être même sa fécondité propre a-t-elle besoin d’être stimulée par le contact d’un autre esprit que le sien. Chose rare, ce journaliste, à l’occasion d’une critique, se montre un génie créateur. Il ne faut donc rien omettre, rien négliger de Leibniz ; il faut tout lire pour être assuré de le connaître, tout entier, et l’on pourrait dire de lui qu’il a émietté son système et éparpillé sa grandeur dans les infiniment petits. Comme certaines de ses monades, chaque facette de sa pensée réfléchit l’univers.

Les œuvres de Leibniz, dont l’édition a été donnée par Dutens (1768), sont déjà une collection respectable, et ces six in-quarto demeurent le fondement de toutes les études sur le grand philosophe de l’Allemagne au XVIIe siècle ; mais on savait depuis longtemps que la collection n’était pas complète, et M. Erdmann, en publiant à Berlin en 1840 des œuvres philosophiques de Leibniz, avait, par l’impression de plus d’un opuscule ignoré, réuni sous un même volume les élémens essentiels d’une doctrine petit à petit formée par des méditations successives. Cependant cet utile recueil n’épuisait pas encore la mine d’où il avait été extrait. M. Erdmann lui-même, Gurhauer, qui a donné une excellente biographie de Leibniz, et à qui la mort n’a pas permis d’en donner davantage, nous avaient de nouveau confirmé l’existence de manuscrits nombreux, et surtout de cette masse des papiers leibniziana qui encombrent les tiroirs de la bibliothèque de Hanovre. Plus d’un écrivain allemand a dans ces dernières années dérivé quelques filets de cette source abondante, et des publications partielles ont, au-delà du Rhin, comblé par des documens nouveaux certaines lacunes de l’œuvre totale. C’est surtout à M. Foucher de Careil que nous devons en France la connaissance des travaux récens dont Leibniz a été l’objet, et des recherches qui restaient à entreprendre dans le trésor confus des manuscrits de Hanovre. En imprimant les Lettres et Opuscules inédits de Leibniz, il nous a donné un avant-goût et de précieux échantillons des découvertes