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reconnaissons volontiers qu’il nous a donné un excellent volume, dont la lecture fait vivement désirer la publication des autres, car il semble qu’alors une grande querelle sera bien près d’être vidée.

C’est celle de l’unité religieuse de l’Europe, considérée à l’occasion du rapprochement tenté vers la fin du XVIIe siècle entre les luthériens et les catholiques. On a beaucoup disserté sur cette tentative, et il semblerait à la manière dont on a représenté le rôle de Leibniz dans cette affaire qu’il fût, ou peu s’en faut, catholique. Il est cité par de fidèles défenseurs de l’orthodoxie du concile de Trente, presque comme un des leurs, si bien qu’on ne sait plus pourquoi Bossuet et lui n’ont pas fini par s’entendre. Les documens réunis dans la publication de M. Foucher de Careil et la préface judicieuse qu’il a mise en tête prouvent qu’ils ne se sont pas un moment accordés, et que leurs échanges de civilités bienveillantes n’ont jamais ressemblé à une mutuelle intelligence. La foi religieuse du sincère écrivain n’altère en rien l’impartialité pénétrante avec laquelle il a jugé leur paisible débat, et dans quelques pages qui terminent son exposé, il a établi avec une remarquable justesse les droits respectifs de la philosophie et de la théologie. Dans ces pages, le philosophe paraît et reprend son rang. Nous essaierons de caractériser à notre tour ce qui s’est passé, et surtout de déterminer l’esprit dans lequel la question a été abordée de part et d’autre. Peut-être ferons-nous voir ainsi pourquoi la question est insoluble, et comment elle pourrait cesser de l’être.

Il ne faut pas s’imaginer que lorsque, vers 1671, Leibniz commençait à s’occuper des moyens d’apaiser les dissidences religieuses, il cédât à une inspiration toute personnelle qui vînt uniquement de la méditation, de la piété ou de la charité ; il ne fit que s’associer à un mouvement d’esprits assez général, et, dont l’origine était surtout politique. La paix théologique avait paru une suite assez naturelle de la paix de Munster. La lassitude d’une guerre longue et terrible, les victoires des Suédois, l’intervention habile, puis la médiation de la France, enfin le concours bienveillant et éclairé de la papauté, avaient amené cette grande et belle transaction qui fut le triomphe dans la politique de la liberté de conscience, ce traité de Westphalie, qui, pour avoir mis dans le droit public toutes les religions chrétiennes sur le même pied, est encore, l’objet des malédictions des sectateurs, opiniâtres d’une oppressive unité. L’esprit qui avait triomphé en 1648 était un esprit de justice et de concorde, et il était simple qu’après avoir fait sortir de la guerre la paix, il tendît à faire naître de la paix l’accord des volontés et des consciences. Les efforts qui se manifestèrent alors sur plusieurs points de l’Allemagne pour ménager un rapprochement des églises et des sectes, et même