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cours des opinions et des systèmes, c’est que la progression, ou si l’on veut la transformation, est la loi de la science dans la recherche de la vérité, c’est que si, comme nul ne l’a mieux vu que lui, il y a du bon dans toutes les doctrines et partout quelque chose à apprendre, la division, la dissidence, la variation, la concurrence, par conséquent la liberté, sont absolument nécessaires au développement de la science et de la pensée. Par suite, l’unité n’est la condition désirable ni la règle nécessaire des choses humaines, sectes, églises, écoles, gouvernemens. Où rien, n’est combattu, rien n’est contrôlé, et quand une seule parole a droit de se faire entendre, ce qui parle n’est pas contenu, ce qui se tait est opprimé. Tout s’engourdit et se dégrade. Osons prendre dans le sens affirmatif et favorable la parole sacrée : il faut qu’il y ait des hérésies. Des hérésies, c’est-à-dire des choix ; choix, c’est liberté. Aucun absolutisme n’est bon, et l’unité est le propre de l’absolu. Qu’on n’objecte pas que, l’unité et l’absolu étant des attributs de la vérité, c’est refuser à la vérité l’empire, c’est couronner le scepticisme que réclamer la liberté, ou l’examen, l’opposition, le débat. Oui, la vérité est une, immuable, absolue, perpétuelle, parfaite ; mais où cela ? Dans le royaume qui n’est pas de ce monde. La vérité n’est pas sur la terre. Ce qui est sur la terre, c’est la connaissance de la vérité. Or la connaissance de la vérité n’est point fixe, invariable, universelle, identique. Elle ne l’est pas dans les individus, ou il faut nier la diversité des dons naturels et les effets de l’éducation, de la tradition, de l’expérience, du travail, de l’étude. Elle ne l’est pas dans la société, puisqu’elle est composée d’individus, et aussi, puisqu’on en parle tant, de civilisations différentes. La diversité des cultes, des gouvernemens, des époques, des nations, prouve assez que l’humanité n’a pas toujours et partout une connaissance égale de la vérité dans la religion, dans la politique, dans la morale, dans la science. Ainsi la diversité, la division, la mobilité, la lutte, sont, au témoignage de l’histoire, au témoignage de nos yeux, les circonstances permanentes de la marche en commun du genre humain vers le but de son existence, et la variation est en un sens la loi de la connaissance, quoique l’immutabilité reste en dernière analyse le caractère de la vérité. Dans le temps, toute unité, toute stabilité est relative, et telle est la raison profonde de la liberté.


CHARLES DE RÉMUSAT.