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nous pouvons ainsi mesurer l’étendue des variations obtenues dans un espace de temps relativement très court. Il s’agit du serin des Canaries. Ce « petit musicien de la chambre, » comme l’appelle Buffon, a pénétré en Europe vers l’époque de la conquête des îles Fortunées par les. Béthencourt, c’est-à-dire vers le milieu du XVe siècle. Au XVIe siècle, le commerce en importa de grandes quantités, comme il le fait aujourd’hui pour d’autres espèces. Bientôt cet oiseau s’acclimata dans l’Europe entière, se reproduisit et devint de plus en plus commun sans cesser d’être recherché. Subissant ainsi l’action de milieux très divers, le serin des Canaries ne tarda pas à varier. Buffon nous a donné une liste de vingt-neuf variétés et de huit races distinctes qui avaient reçu des noms spéciaux dès le commencement du XVIIIe siècle, et il ajoute que depuis il s’est formé plusieurs races nouvelles. Le nombre s’en est certainement accru. Les oiseaux de toutes ces races sont singulièrement différens de leurs frères encore sauvages. Ceux-ci sont d’un gris verdâtre avec des taches brunes. On sait combien peu ces caractères répondent à ceux de la plupart de nos canaris. Rappelons seulement que parmi ces derniers la taille a généralement grossi, que le corps présente tantôt une teinte uniforme qui varie du jaune presque blanc au jonquille et à l’agate, tantôt des panachures plus ou moins foncées et allant parfois jusqu’au noir. Ajoutons qu’on connaît des races huppées, d’autres dont les jambes se sont allongées, et que chacune d’elles, tout en conservant au fond le chant primitif de l’espèce, y a joint des intonations, des reprises, des roulades particulières. — Voilà les transformations que trois siècles de captivité ont suffi pour opérer chez ce petit oiseau, qui, amené chez nous pour satisfaire au caprice des grands, égaie, aujourd’hui jusqu’à la plus humble mansarde.

Le dindon introduit, en Europe à peu près en même temps que le serin des Canaries, le canard qu’à l’époque de Columelle et de Varron on était encore obligé d’emprisonner avec des filets étendus au-dessus du bassin où on l’élevait, l’oie, qu’elle ait été domestiquée par les Grecs, comme le pense M. Isidore Geoffroy, ou par les Asiatiques, comme le présume M. Pictet, ne peuvent laisser aucun doute sur leur origine. Quelque nombreuses et variées que soient les races qu’on en a déjà obtenues, personne n’a songé à faire intervenir plusieurs espèces dans leur formation. Ces races ne sont pas d’ailleurs aussi nombreuses qu’elles l’eussent été peut-être sans une circonstance dont il me semble qu’on n’a pas toujours tenu compte. Les trois espèces que nous venons de nommer sont essentiellement utiles. Le caprice et la mode les ont généralement négligées. Le dindon lui-même, importé d’abord comme oiseau d’ornement, est devenu très vite un simple oiseau de table, un animal de basse-cour. Dès lors on ne lui a plus demandé que