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nos arbustes, nos plantes à fleurs doubles, ne produisent plus que des fleurs simples, les fruits de nos meilleurs fruitiers perdent leurs qualités, et le pommier, le poirier surtout, reprennent leurs piquans. De même les descendans des pigeons qui ont abandonné nos colombiers pour aller nicher comme leurs ancêtres dans les rochers reprennent bien vite les caractères du biset. Les chevaux libres des pampas d’Amérique connue ceux des steppes de la Sibérie ont perdu en partie les belles formes que l’homme leur avait données. La taille a diminué, les jambes et la tête ont grossi, les oreilles se sont allongées et rejetées en arrière, le poil est devenu grossier, les teintes du pelage se sont en partie uniformisées, et les robes les plus tranchées, telles que les noires et les pies, ont entièrement disparu.

Ces faits, mille fois constatés, ont donné lieu à l’opinion assez généralement accréditée que les races libres reproduisaient le type sauvage. C’est là une exagération. Dans bien des cas au moins, sinon toujours, elles ne font que s’en rapprocher. Ainsi le fruit du pêcher qui pousse librement au milieu de nos Cévennes a certainement perdu une partie des qualités de nos excellentes pêches de jardin : il a diminué de volume, sa chair s’est modifiée et n’a plus le même parfum ; mais il est encore plus gros que le fruit primitif, il est resté juteux, frais, acidulé, au lieu de redevenir sec et acerbe comme celui-ci. Ces pêches libres reproduisent d’ailleurs les caractères de deux des races principales appartenant à nos vergers. Il en est dont la chair se détache du noyau, d’autres dont la chair est au contraire adhérente. En échappant à la culture, en retombant sous l’empire des conditions naturelles, l’une des deux au moins a conservé un des caractères qu’elle avait acquis[1]. On constate d’ailleurs des faits analogues chez les animaux. Le chien marron d’Asie est très voisin du chacal ; celui de la Nouvelle-Hollande ressemble au dingo. Dans l’Amérique méridionale, on reconnaît encore au milieu des bandes de chiens sauvages, et malgré une certaine communauté de caractères qu’ils doivent à un genre de vie identique, les races qui leur ont donné naissance[2].

Il n’est pas inutile, pour la question qui nous occupe en ce moment,

  1. Ce fait me semble de nature à expliquer celui qu’a signalé Van Mons. Ce célèbre pomologiste assure avoir retrouvé dans les Ardennes, vivant à l’état sauvage et produisant des fruits très dégénérés, les représentans de toutes les variétés principales de poires cultivées en Belgique. Il voit dans ces individus la souche première de nos poires comestibles. Il me paraîtrait plus rationnel de les considérer comme les descendans de celles-ci. En tout cas, si l’on peut conserver des doutes pour un arbre fruitier dont le type sauvage croit dans nos forêts, il ne saurait en être de même pour un arbre acclimaté comme la pêche.
  2. Ce fait important a été communiqué à la société d’anthropologie de Paris dans une de ses dernières séances par M. Martin de Moussy.