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conseils de la coalition. L’arrogante assurance de quelques-uns des généraux alliés s’était soudainement convertie en une panique inconsidérée. « Schwarzenberg voudrait être de retour sur le Rhin, écrivait lord Burghersh à lord Castlereagh… La paix est le cri de tous les officiers de cette armée ; elle est dans un grand état de désorganisation ; le pillage y est arrivé au plus haut degré[1]. » Le découragement n’avait guère été moins grand parmi quelques-uns des ministres étrangers. Les agens anglais, restés plus calmes, sans doute par fermeté d’âme, mais aussi parce que leur pays, courait moins de risques dans ces brusques reviremens de fortune, constataient avec dégoût cette disposition à s’abandonner soi-même qui régnait autour d’eux. « La question politique a été misérablement compromise par les excès opposés dans lesquels on est tombé alternativement, » écrivait lord Castlereagh à lord Aberdeen… « L’ennemi est, à mon sens (mandait de son côté lord Aberdeen à lord Castlereagh) une source de dangers moins redoutable que celle que nous avons parmi nous. Je ne puis trop souvent vous mander l’état réel des esprits de ces faibles hommes par qui l’Europe est gouvernée… Si les hommes dont il s’agit doivent être éprouvés par l’adversité, la dissolution est certaine. » Mais cette démoralisation momentanée ne devait pas durer. En quelques jours, par son énergique attitude et par son active habileté, lord Castlereagh avait resserré les liens, un moment relâchés, de la coalition. Le traité de Chaumont, œuvre personnelle du ministre de l’Angleterre, réunissait de nouveau en un seul faisceau toutes les forces de l’Europe dirigées contre la France. Chaque puissance devait tenir constamment en activité cent cinquante mille hommes. L’Angleterre payait un subside de 5 millions sterling à répartir entre ses alliés. On ne devait faire la paix que d’un commun accord. Ce traité, d’un caractère si décidément hostile à Napoléon, était conclu pour vingt ans ; les articles n’en étaient pas encore signés, que déjà le langage des plénipotentiaires réunis à Châtillon se ressentait de la confiance que leur inspirait la ferme entente établie entre leurs cours. Le 28 février, ils signifiaient au duc de Vicence qu’on lui accordait un délai de dix jours pour recevoir sa réponse, qu’on était prêt à discuter les modifications que la France pourrait proposer, mais qu’on repousserait d’une manière absolue toutes celles qui s’éloigneraient tant soit peu des bases essentielles du projet.

Que Napoléon était loin de connaître sa véritable situation ! ou, s’il la connaissait, qu’il était injuste pour son fidèle ministre des affaires étrangères, lorsque, dans ses lettres de Nangis et de Surville

  1. Lord Burghersh à lord Castlereagh, février 1814.