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en effet le champ clos où vont se mesurer les partis italiens. Le triomphe de l’un ou de l’autre de ces partis ne saurait être indifférent à l’Europe, et le parti libéral européen ne doit point marchander le concours de ses sympathies et l’autorité de ses encouragemens à celui qui dans cette lutte représente nos principes et nos intérêts. Le combat, dans les élections italiennes, aura lieu entre la politique garibaldienne et la politique de M. de Cavour, c’est-à-dire entre ce que l’on nomme en Italie le parti de l’action et le parti parlementaire, entre ceux qui veulent la levée en masse de la nation sous la dictature du roi et ceux qui ne veulent ni fermer la bouche au parlement ni marcher à l’aventure, sans tenir compte de la situation de l’Europe. Le parti garibaldien n’a pas de programme politique, il n’en veut pas avoir. La constitution, les ministres, la légalité, les chambres sont pour lui des embarras, des obstacles. À l’exemple de Garibaldi, il ne veut rien comprendre à ce mécanisme qu’il regarde comme un piège ; comme lui, il voudrait que le roi s’emparât de la dictature, et qu’on soulevât sans retard la nation entière au cri du salut public. Tel est le parti de l’action, qui, en se désignant de la sorte, exprime non une doctrine, un calcul politique, mais la fougue plus ou moins naturelle de son tempérament. Agir, agir, quelles que soient les circonstances et n’importe comment, agir tout de suite et quand même, c’est ainsi, dit-il, que la France s’est sauvée en 92, ou plutôt c’est le système que Garibaldi retrouve dans ses souvenirs lorsqu’il se rappelle les entreprises auxquelles il a pris part dans l’Amérique du Sud.

M. de Cavour et ses amis, quoi qu’on puisse dire des excès de hardiesse qu’ils ont commis, ont donné à l’Europe civilisée une autre idée de la raison et de la force de leurs conceptions politiques. Il n’est pas nécessaire d’insister sur ce qui sépare M. de Cavour du parti de l’action ; mais entre ce parti et M. de Cavour on essaie en ce moment de former un parti intermédiaire, dont le succès électoral, s’il pouvait balancer le parti ministériel, aboutirait promptement à la prépondérance de la politique garibaldienne. Ce tiers-parti s’est donné un organe depuis le commencement de cette année dans la Monarchia nazionale, et prétend à remplir le rôle de conciliateur entre les constitutionnels et les hommes de l’action. Les chefs de ce parti sont MM. Rattazzi et Pepoli. Il est difficile de marquer exactement la nuance de ses opinions en matière de conduite politique. Il semble que la différence entre M. de Cavour et M. Rattazzi est aujourd’hui encore celle qui distinguait ces deux hommes d’état lorsque l’année dernière M. de Cavour remplaça au pouvoir M. Rattazzi. Sans s’engager dans le projet d’une dictature royale, M. Rattazzi, à la fin de 1859, semblait pourtant y incliner et caressait peut-être ce rêve garibaldien. M. de Cavour et la régularité constitutionnelle l’emportèrent. Aujourd’hui la même tendance est visible chez les chefs du tiers-parti. Ils veulent rapprocher du gouvernement la politique à outrance, la politique garibaldienne, et il semble que la transaction qu’ils cherchent ne soit autre que la dictature confiée au roi et au ministère.