Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’agréer les sentimens de haute considération avec lesquels je suis votre très obéissant serviteur,

« ADOLPHE PERRAUD, prêtre de l’Oratoire. »


Voyons maintenant quel est l’article à propos duquel on me demande de rétracter mon blâme. M. l’abbé Perraud semble s’être donné pour mission d’attaquer la classe des propriétaires en Irlande ; il se rappelle les confiscations qui ont eu lieu dans ce pays sous Guillaume, Cromwell et Élisabeth, et il voit dans l’exercice actuel du droit de propriété le renouvellement journalier de la confiscation. Un droit semblable est pour lui le droit légal du vol, et en présence de la tyrannie de la richesse il s’écrie : « La violence appelle la violence ; à la confiscation répond l’incendie. Malheur à ceux qui porteront devant Dieu et devant les hommes la responsabilité de telles représailles et des actes qui les provoquent ! » D’ordinaire M. l’abbé Perraud ajoute au mot de propriétaire l’épithète d'exterminateur ; il appelle les fermiers des vassaux et les paysans des serfs, bien qu’en Irlande l’égalité civile soit absolue. Il se trompe sur les limites légitimes du droit de propriété quand il veut qu’un propriétaire n’ait pas le droit d’élever des bestiaux. Suivant lui, autant de bestiaux élevés, autant de familles exterminées ! C’est par le chiffre croissant de l’exportation du bétail qu’il prouve le développement de la cruauté chez les propriétaires et de la misère parmi le peuple

Un logicien pourrait démontrer à M. l’abbé Perraud que ses idées touchent de bien près aux idées qu’on appelle socialistes, et que sa singulière économie politique aurait pour effet d’accroître en Irlande la misère et les crimes. Il est permis d’être socialiste, moins peut-être en Irlande qu’ailleurs ; mais ce qui n’est pas permis, c’est d’attaquer individuellement et nominativement une foule de personnes honorables, des hommes, des femmes, des jeunes filles, c’est de passer légèrement sur les crimes en disant : « J’aurais mieux aimé, » et d’attaquer avec violence ceux qui s’efforcent d’atteindre les criminels.

Il s’agit de l’Irlande, d’un pays où les assassinats sont fréquens. Il est singulièrement imprudent d’y signaler nominativement-tel ou tel propriétaire à la haine des populations. Je suis certain que M. l’abbé Perraud ne s’est pas rendu compte des conséquences du système d’anecdotes qu’il adopte. Il ne s’est pas seulement exposé au danger de se tromper dans ses accusations ; il s’est exposé à un danger plus cruel, sur lequel je ne veux pas insister.

Un crime horrible a été commis. Le motif de ce crime est la défense faite par un propriétaire à son fermier de sous-louer par parcelles. C’est par conséquent un de ces crimes populaires en Irlande que laissent passer les populations, et pour la répression desquels on ne trouve pas de témoins. Le propriétaire, dont le devoir était de ne pas rester indifférent au meurtre de son fermier, menace d’expulser plusieurs de ses sous-locataires, et cependant n’exécute pas sa menace. M. l’abbé Perraud cite ce fait comme la démonstration la plus éclatante « des abus de pouvoir inspirés par le caprice, par l’arbitraire et par les haines personnelles. » Il dit : « L’ancienne loi juive du talion demandait œil pour œil, dent pour dent ; mais ici, comme le fait remarquer une feuille publique, c’est cent yeux pour un œil et cent dents