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pas que cette entreprise a été décidée par des motifs purs de tout égoïsme et entièrement patriotiques. Si nous réussissons, je serai fier d’orner la couronne de votre majesté de ce nouveau joyau, à la condition toutefois que votre majesté s’opposera à ce que ses conseillers cèdent cette province à l’étranger, ainsi qu’on a fait pour ma ville natale. » Ainsi s’éloignait cet homme lançant au départ un trait à M. de Cavour et laissant à quelques complices entreprenans et passionnés comme lui, tels que le docteur Bertani, le soin de lui envoyer de nouveaux volontaires et des secours, s’il ne disparaissait pas dans la Méditerranée.

Une fois à Marsala, Garibaldi trouvait un sol merveilleusement préparé pour une révolution. En quelques jours, il s’étendait dans l’île, ralliant à lui les bandes de paysans insurgés, déconcertant les mouvemens des chefs de l’armée royale, battant le 15 mai les forces napolitaines à Calatafimi, poussant jusqu’à Palerme, où il entrait le 27, là soutenant un combat de trois jours à l’aide des Palermitains soulevés pour lui, bravant un bombardement aussi meurtrier qu’inutile, qui accablait la population sans la soumettre, et finissant par réduire les généraux du roi à une demande d’armistice bientôt suivie d’une capitulation, si bien que dans ce court espace de temps Garibaldi était maître d’une des villes principales, et l’armée royale, désorganisée, humiliée, mécontente de ses chefs, qu’elle accusait de trahison, n’occupait plus que quelques points défensifs dans l’île. Que se passait-il cependant à Naples ? Le débarquement de Garibaldi suscitait d’abord une singulière émotion dans le gouvernement, car la présence des volontaires portant en Sicile le drapeau de l’unité de l’Italie introduisait dans les affaires napolitaines un élément redoutable, bien plus redoutable par son caractère moral que par la force numérique de cette poignée d’hommes conduits par un chef aventureux. On essayait au premier moment d’envoyer en Sicile, avec des promesses tardives, un nouveau lieutenant du roi, le général Lanza, qui arrivait bien à propos pour être battu comme tous les autres officiers royaux. Le gouvernement napolitain d’ailleurs usait d’un stratagème dont il fit plus d’une fois sa ressource. Il dissimulait les progrès de l’insurrection, ne parlait que des avantages des généraux napolitains, et, il faut le dire, le roi était de bonne foi, car il ne pouvait croire encore à la réalité d’un danger mortel, sachant qu’il avait en Sicile une armée de plus de trente mille hommes.

À mesure que la marche de Garibaldi se dessinait cependant et que les volontaires, grossis des bandes de paysans siciliens, s’approchaient de Palerme, l’anxiété et le trouble redoublaient à Naples, et alors, le 30 mai, au moment même où s’ouvraient en