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et qui a même été le rédacteur du manifeste adressé, il y a quelque temps, à l’Europe par François II. La dernière illusion du roi tombait ; il restait seul ou à peu près en face des Piémontais, dans une ville dont les tristes murailles n’ont pas même reçu, du côté de la mer, les réparations nécessaires pour soutenir le feu.

Cette résistance du roi François II à Gaëte, épilogue d’un règne que la politique a perdu, n’est pas au surplus la difficulté la plus sérieuse dans cette œuvre de transformation du midi de l’Italie qui se poursuit depuis trois mois. L’unité a pu devenir promptement et, facilement une réalité dans le reste de la péninsule. On peut dire que sous la pression d’un sentiment national tenu en éveil par le péril, par la nécessité, tout est accompli de Suze à Spolète, quelles que soient les nuances d’esprit local qui peuvent et qui doivent survivre. La difficulté réelle commence aux frontières de Naples, car ici il y a une situation que le vote d’annexion du 21 octobre a pu voiler un instant par une apparente unanimité, mais qu’il n’a pas supprimée, — une situation qui ne se complique pas seulement de différences plus vives d’esprit, d’antagonismes entre Napolitains et Piémontais, de vagues regrets d’une autonomie disparue, qui tire surtout sa gravité d’un fonds rebelle et anarchique, d’habitudes invétérées de désordre, d’une incohérence, en un mot, qui n’est après tout que l’héritage d’une longue compression, et qu’une révolution a fait éclater au grand jour. C’est ce qui rend plus difficile cette œuvre d’assimilation qui est venue s’imposer en quelque sorte au Piémont. Au fond cependant, ces difficultés étaient faciles à prévoir ; elles résultent de la nature des choses, et elles ont même cela d’utile, de salutaire pour les Italiens, qu’en rendant l’unification plus lente et plus laborieuse, elles la rendent aussi plus forte : elles lui donnent ce caractère de réalité sans lequel les idées politiques ne sont souvent que des abstractions et des chimères. L’unité italienne à la fortune pour elle aujourd’hui ; mais ne se mettrait-elle pas elle-même en question, si, avant d’être complètement et vigoureusement organisée, elle allait se heurter contre une guerre qui appellerait peut-être l’Europe tout entière sous les armes ? Et c’est ainsi que les Italiens sont ramenés à une certaine circonspection par la nécessité même de consolider leur œuvre. Lorsque, jetant un regard vers le passé, ils se souviennent, — car ce n’est plus qu’un souvenir, — de ce qui existait il y a deux ans, de ce qui existait encore au lendemain de Villafranca, ils ont quelque droit à ne point perdre confiance, et de leur part ne rien précipiter est un patriotisme facile dans une situation où désormais l’avenir est à eux, s’ils savent s’y préparer, ou le sentiment d’une nationalité obstinée à renaître a vaincu déjà tant d’obstacles qu’on croyait invincibles.


CHARLES DE MAZADE.