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les limites étroites d’un petit peuple.. La seconde, celle du Christ, fut pour tous, mais n’a pu atteindre l’universalité de son principe. Quinze siècles devaient encore s’écouler avant qu’elle rayonnât sur l’Amérique ; le grand Lama a plus de fidèles que le pape ; le Bengale, la Chine et le Japon comptent ensemble plus de trois cent millions d’habitans. Qu’ont obtenu vos missionnaires chez les sauvages et dans les archipels immenses ? « Combien de myriades d’hommes que la bonne nouvelle n’atteindra jamais ! » En Europe, le christianisme n’existe plus que de nom. Les gouvernemens catholiques se sont déchaînés contre leur pontife ; et ont réduit à l’extrémité l’ordre sacerdotal. Les croyans eux-mêmes n’ont plus la « conscience de la force » dont parle Homère quand il veut exprimer le courage. Ils n’osent plus rien, on ose tout contre eux : les hommes choisis seuls attendent encore. Ont-ils donc tort d’envisager comme prochaine une troisième explosion de la bonté divine ? Ne blâmez pas « les gens qui voient dans la révélation même des raisons de prévoir une révélation de la révélation. » Mais, dira-t-on, rien ne manque, tout est révélé ; il n’est pas permis d’attendre autre chose. Sans doute rien ne manque pour le salut ; mais n’en était-il pas de même pour l’Hébreu fidèle à sa loi ? Il croyait au sacrifice judaïque, à la durée éternelle du trône de David, au règne temporel du Messie ; « il s’en tenait à l’écorce, et il avait raison jusqu’à l’événement. » L’événement lui apprit qu’il se trompait, et nous, savons-nous ce qui nous attend ? Sans doute Dieu est avec nous, les portes de l’enfer ne prévaudront pas, etc. ; mais s’ensuit-il que Dieu se soit interdit toute manifestation nouvelle, et qu’il n’ait plus rien à nous apprendre ? Remarquez d’ailleurs cette autre analogie, qui est encore un avertissement ! Longtemps avant le christianisme, la version des Septante avait répandu la Bible dans le monde grec. Cette divulgation pouvait déplaire aux Juifs pieux, étroitement attachés à leur foi nationale. Pourtant c’était une préparation : quand le christianisme parut, la tradition dont il devait directement sortir était connue d’avance, elle lui ouvrait les voies ; ni les Juifs, ni les Grecs ne s’en étaient doutés. Aujourd’hui n’y a-t-il rien de semblable ? Les sociétés bibliques, si odieuses aux catholiques, n’auraient-elles pas la même destination ? En distribuant dans le monde entier, en traduisant dans toutes les langues nos saints livres, ne sèmeraient-elles pas, à leur insu et au nôtre, les germes d’une vie nouvelle qui doit mûrir sur toute la surface de la terre ? N’est-ce pas aussi enfin, comme la propagation des Septante, une vaste préparation, par l’Évangile, à quelque chose qui ne sera plus lui, mais qui sortira de lui ?

On vient de lire le testament de Joseph de Maistre. C’est l’abrégé fidèle des dernières pages qu’il ait écrites, et qu’il n’a pas même