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or la prétention fondamentale de Lamennais était de trouver tout le christianisme, même la trinité, l’incarnation et tous les dogmes qui lui appartiennent le plus particulièrement, dans un témoignage exprès et positif du genre humain. Sa révélation primitive est extérieure, attestée par des témoignages extérieurs, qu’il doit suffire d’énoncer sans démonstration, sans discussion. Ainsi le veut son projet chimérique d’imposer le christianisme comme un fait se soutenant par soi-même, et auquel la philosophie ni la critique n’aient rien à voir ; mais c’est précisément l’étroitesse et le raide absolutisme d’un tel système qui en feront crouler tout l’échafaudage, et pour avoir trop exigé il n’obtiendra rien.

Comment en effet remonter, par les seules traditions positives, jusqu’à l’illumination des premiers jours ? L’histoire est bien jeune, et entre ses plus vieux monumens et l’origine des choses il y a un vide immense et une nuit profonde. Dans cet intervalle, certaines croyances n’ont-elles pas pu se produire en divers lieux, semblables entre elles par l’influence de circonstances semblables, sans qu’il en résulte pour cela infailliblement qu’elles aient leur source dans la révélation primitive ? La nature humaine étant la même partout, son génie n’a-t-il pas dû partout se développer, dans l’erreur comme dans la vérité, en vertu des mêmes lois et sous des formes analogues ? Par exemple, tous les peuples ont cru aux théophanies et aux apparitions, sous figure humaine, d’êtres intermédiaires entre l’homme et la Divinité ; de là ce grand nombre de dieux inférieurs et tout le polythéisme. Selon Lamennais, c’est la doctrine des anges qui est là-dessous ; le polythéisme n’est que la corruption de la croyance aux esprits bons et mauvais, aux anges et aux démons. Qu’en sait-il ? Hypothèse pour hypothèse, ne pourrait-on pas répondre que les anges ne sont eux-mêmes qu’un équivalent épuré du polythéisme, conçu chez les peuples les moins atteints de cette erreur, tels par exemple que les Perses, qui avaient dans le dogme mazdéen une hiérarchie angélique plus complète même que celle des Juifs ? Combien de causes ont pu donner naissance à ces apparitions et à ces représentations de génies et de messagers célestes : l’illusion des sens, la prédominance de l’imagination chez les premiers hommes, l’usage des monumens figurés, et surtout le caractère concret et figuratif des langues naissantes qui menait naturellement aux fictions de ce genre, et les rendait même inévitables et presque nécessaires ! La philosophie elle-même n’a-t-elle pas subi une influence analogue ? Quand les langues eurent acquis l’abstraction, quand l’idée de Dieu, quittant ses formes sensibles et humaines, fut conçue sous les notions du spirituel et de l’infini, la philosophie antique, ne comprenant pas la possibilité de communications directes entre la substance infiniment parfaite et la faible