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et d’Alfieri rassemblés là par le dernier personnage de cette histoire, au milieu de ces papiers, de ces lettres, de ces documens de toute sorte, où bien des biographes ont puisé et qui conservent encore maintes curiosités inédites[1], se trouve un manuscrit d’une vingtaine de pages contenant le journal de ce voyage en Angleterre écrit de la main même de Mme d’Albany. Ce sont de simples notes, sans nulle prétention littéraire, rédigées par une femme qui connaissait assez bien notre langue, mais qui ne la maniait pas sans gaucherie. Or ce qu’il y a de plus vif et de plus original dans ces notes, imprimées aujourd’hui pour la première fois, c’est le tableau qu’elle trace de Londres et de.la société britannique. Si l’on y trouve des observations qui n’ont qu’une médiocre portée, les unes parce qu’elles sont devenues banales, les autres au contraire parce qu’elles ne répondent plus à l’état présent des choses, il n’est pourtant pas. sans intérêt de savoir comment cette reine d’Angleterre jugeait les Anglais de 1791.


« J’ai passé environ quatre mois en Angleterre et trois à Londres. Je m’étais fait une tout autre idée de cette ville. Quoique je susse que les Anglais étaient tristes, je ne pouvais m’imaginer que le séjour de leur capitale le fût au point où.je l’ai trouvé. Aucune espèce de société, beaucoup de cohues… Comme ils passent neuf mois de l’année en famille ou avec très peu de personnes, ils veulent, lorsqu’ils sont dans la capitale, se livrer au tourbillon. Aussi les femmes ne restent-elles jamais à la maison. Toute la matinée, qui commence à deux heures (car elles ne se lèvent qu’à midi, se couchant à quatre heures du matin), se passe en visites et promenades, car les Anglais ont besoin, et le climat l’exige, de faire un grand mouvement. La vapeur du charbon, l’absence continuelle du soleil, la nourriture pesante et la boisson exigent qu’on se secoue beaucoup ; encore tout cet exercice ne les préserve-t-il pas des accès de goutte qui les clouent au lit pour des mois et quelquefois pour des années, car quantité de gens sont estropiés de cette maladie, que j’attribue beaucoup à leur intempérance.

« Toutes les villes de province valent mieux que Londres : elles sont moins tristes, moins enfumées ; les maisons en sont meilleures. Comme tout paie, les fenêtres sont taxées aussi ; par conséquent, on n’a que deux ou trois fenêtres sur la rue, ce qui rend la maison étroite et incommode, et comme le terrain est extrêmement cher, on bâtit sa maison tout en hauteur. Le seul bien dont jouit l’Angleterre, et qui est inappréciable, c’est la liberté

  1. Parmi les documens relatifs à la comtesse d’Albany, les lettres les plus curieuses, publiées soit par M. de Reumont, soit par M. Félice Le Monnier dans sa nouvelle édition de la Vita di Vittorio Alfieri scritta da esso Florence 1853), ont été communiquées aux éditeurs par M. Paulin Blanc, bibliothécaire du musée Fabre à Montpellier. Gardien de ce précieux dépôt, M. P. Blanc connaît mieux que personne toutes les circonstances qui s’y rattachent. Si nous venons à notre tour mettre de nouveaux renseignemens en lumière et compléter l’œuvre de nos devanciers, c’est à son obligeance, à son savoir, à ses utiles indications que nous en sommes redevable.