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et auxquelles il ne demandait que ce qui était conciliable avec son volontaire isolement. Ses vrais amis, sa seule cour, c’étaient toujours ceux qui avaient été les confidens de sa jeunesse ; c’était l’excellent abbé de Caluso, si sincère dans son affection, si sage et si dévoué dans ses conseils ; c’était aussi ce gracieux poète de Vérone, Hippolyte Pindemonte, qui avait traversé avec lui la période révolutionnaire à Paris, esprit libéral qui ne désespéra jamais de la liberté, harmonieux écrivain qui corrigea tant de formes rudes et barbares dans la langue trop peu florentine de son impétueux ami. Ceux-là, présens ou absens, il les aima toujours. Quant aux admirateurs que lui attirait la comtesse, plus d’une fois sans doute, mécontent de ses arrière-pensées mondaines, il dut leur faire sen, tir, en les recevant, cette capricieuse sauvagerie qu’il ne dissimulait avec personne.

Parmi les visiteurs étrangers qui venaient payer leur tribut d’hommages à la comtesse d’Albany et d’admiration à l’auteur de Marie Stuart, Alfieri vit arriver un jour un jeune artiste du midi de la France. François-Xavier Fabre était né à Montpellier le 1er avril 1766. Fils d’un peintre estimable, il avait suivi la carrière de son père, et après ses premières études dans sa ville natale, il était allé chercher des maîtres à Paris. D’une modeste école, il était entré dans un atelier célèbre, celui de David. Il avait un goût, sévère, une application soutenue, un amour sérieux de son art ; dès l’âge de vingt et un ans, Fabre obtenait le prix de Rome et partait pour l’Italie. Ses études à l’école française étaient à peine terminées, qu’il assista aux plus mauvais jours de la révolution italienne ; il vit l’occupation de Rome par les troupes du directoire, il vit le pape Pie VI brutalement expulsé de ses états à quatre-vingts ans, et ayant refusé de prêter serment entre les mains de l’autorité qui venait de commettre ces violences, il fut traité comme un émigré. C’était là une recommandation excellente auprès d’Alfieri et de la comtesse. Il en avait d’autres encore, à ce qu’il paraît. La comtesse d’Albany aimait passionnément le dessin ; quand elle vit arriver à Florence ce grave élève de David, déjà célèbre à ses débuts, elle lui demanda des leçons de peinture, et il est trop certain que. le jeune maître, du vivant même d’Alfieri, fit une profonde impression sur le cœur de son élève. Étrange ironie de la fortune ! ces punitions secrètes dont nous avons parlé se reproduisent pour la seconde fois dans cette histoire, et sous quelles formes singulières ! au milieu de quelles circonstances imprévues ! Alfieri a pris les Français en haine ; un seul, à cause de ses opinions politiques, a trouvé grâce auprès de lui, il l’accueille, il lui ouvre sa maison, et c’est son propre châtiment qu’il introduit lui-même dans son sanctuaire. Non pas, certes,