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sans solidité. Ce qui est vrai, c’est que l’habitude prise de porter en recette la dotation et la réserve de l’amortissement donne une facilité funeste pour l’exagération des dépenses. La bonne administration consiste non pas à élever, par toute sorte de moyens et d’expédiens, les recettes, ou l’apparence des recettes, au niveau des dépenses, mais à restreindre les dépenses dans les limites des recettes réelles. Recourir à des emprunts réitérés, contractés parfois à des taux onéreux, et disposer en même temps, pour faire face aux dépenses ordinaires, des ressources destinées par la prévoyance de ses prédécesseurs à l’extinction de la dette de l’état, ce serait escompter doublement l’avenir. Ni la justice ni la raison n’exigent sans doute que la génération actuelle supporte seule tout le fardeau de dépenses dont profiteront les générations futures. Les grands travaux d’utilité publique survivent au présent, les guerres même peuvent être fécondes, lorsque, justement entreprises, elles ont pour résultat un accroissement durable d’influence ou d’utiles conquêtes ; cependant aucun gouvernement sage n’a rejeté sur l’avenir la totalité des charges provenant de ces deux causes[1].

L’exemple de l’Angleterre, ou l’on va souvent chercher de moins profitables enseignemens, aurait dû nous mieux servir. Sa dette, après une guerre européenne de vingt-cinq ans, aux frais de laquelle elle prit une si large part, était d’environ 20 milliards (800 millions sterling). Cette dette est aujourd’hui de 18 milliards (740 millions sterling) en capital, et de 550 millions (22 millions sterling) en intérêts annuels. C’est en capital un peu plus du double de la dette française, en intérêts environ 60 pour 100 de plus. Mais voici la différence essentielle : il y a trente ans[2], la dette active

  1. On a soutenu, non sans raison, que la suspension prolongée de l’amortissement constitue une violation des droits des créanciers de l’état, qui ont dû compter sur les garanties que les lois leur assurent. En droit, cela est incontestable ; en fait, je crois qu’il ne faut pas exagérer la valeur d’un moyen de défense dont la cause de l’amortissement peut se passer. Grâce à Dieu, la France n’est pas à la veille de déposer son bilan, et elle offre à ses prêteurs une suffisante hypothèque. Le danger est pour l’avenir de la fortune publique, pour les contribuables, et ne menacera pas de longtemps, il faut l’espérer, les créanciers de l’état.
  2. Le tableau suivant présente, en chiffres ronds, le résumé de la marche ascensionnelle de la dette fondée en France depuis 1814. Les résultats pour 1860 ne sont qu’approximatifs.)
    Epoques RENTES ACTIVES appartenant à des tiers, déduction faite de celles appartenant à l’amortissement Capital nominal
    1814 63,000,000 fr. 1,300,000,000 fr.
    31 juillet 1830 165,000,000 3,786,000,000
    1er mars 1843 175,000,000 3,954,000,000
    1er janvier 1851 230,000,000 5,500,000,000
    1860 315,000,000 9,000,000,000 ?


    Je ne sais s’il est nécessaire de faire remarquer que la disproportion entre l’augmentation des rentes créées et l’augmentation du capital nominal a pour causes principales la conversion du 5 pour 100 et l’accroissement des rentes 3 pour 100