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une position élevée dans le conseil d’état ; le plus employé de tous est le président de ce corps ; souvent ces commissaires ont combattu dans les commissions du corps législatif les changemens proposés, et ils viennent les combattre devant le conseil d’état, où ils exercent une grande influence, sans autres contradicteurs que ceux que le conseil d’état peut voir naître spontanément dans son sein. Bien faible est donc la part réelle d’action du corps législatif. Il peut faire des discours, mais il ne peut voter que sur les questions qu’un autre pouvoir consent à lui poser,. et dans la forme où ce pouvoir consent à les poser.

M. Thiers a dit, en parlant des restrictions au droit d’amendement, dans les dernières pages sorties de sa plume féconde et puissante : « La discussion des lois sans la faculté de les modifier n’est qu’une agitation stérile. Placer les chambres entre le rejet et l’adoption pure et simple, c’est les réduire aux résolutions extrêmes et détruire l’esprit de transaction qui doit être le véritable esprit des pays libres[1]. »

En droit, le corps législatif est investi de la prérogative du rejet absolu : il peut repousser une loi, il peut refuser le budget d’un ministère ; mais il n’est pas nécessaire de beaucoup insister pour montrer que cette prérogative suprême doit rester habituellement une lettre morte. Une loi, même incomplète et défectueuse, est rarement assez mauvaise aux yeux de ceux qui en approuvent la pensée et le but, pour qu’ils la repoussent tout entière, surtout si c’est une loi qu’un gouvernement, s’appuyant sur une majorité fidèle, présente comme indispensable à sa politique. Cette loi, dans son ensemble, peut répondre à des besoins pressans, et quelque fondées que soient les objections qui s’élèvent contre une partie de ses dispositions, il arrive d’ordinaire que la majorité aime mieux subir une pression morale, en laissant passer ce qu’elle ne peut éliminer ou changer, que repousser le tout. Le refus d’un budget surtout est une résolution extrême devant laquelle ont reculé plus d’une fois, en des temps bien différens de ceux où nous vivons, des oppositions voisines de l’hostilité. Dans de rares occasions, il est juste de le reconnaître, le gouvernement, en présence de la répugnance peu dissimulée du corps législatif à voter certaines mesures, s’est décidé à ne pas les soumettre à l’épreuve définitive du scrutin ; mais des marques de condescendance et d’égards, quelque louables qu’elles soient en elles-mêmes, quelque fréquentes que la pratique ait pu ou doive les rendre, ne sauraient remplacer des garanties plus efficaces.

Ce serait se tromper étrangement sur la pensée qui a inspiré ces réflexions que d’y voir la défense du droit d’amendement tel qu’il a

  1. Histoire du Consulat et de l’Empire, tome XVIII, page 177.