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contre son habitude, un profond silence, sauta sur le rivage et regagna sa demeure. Lorsque le pêcheur et sa fille furent de retour dans l’île, Arsène, qui les attendait, s’approcha d’eux avec empressement.

— Maître Léonard, dit le marinier, il faut que je retourne à mes bateaux, et je n’ai que juste le temps de m’expliquer avec vous. Vous savez que j’aime votre fille… Jusqu’ici j’étais bien accueilli par vous, et pas trop mal reçu par elle…

En prononçant ces dernières paroles, il se tourna vers Madeleine, qui était restée quelque peu en arrière. Celle-ci cueillait sur les haies des tiges fleuries d’épine blanche, affectant de ne point entendre un discours dont elle ne perdait pas une syllabe. C’est que maître Léonard surveillait de près sa, fille, et Madeleine n’avait pas son franc-parler avec lui.

— Mon père se fait vieux, continua le marinier ; il veut se retirer et me laisser la conduite de ses bateaux. C’est une belle affaire pour moi…

— Je ne dis pas non, répliqua le pêcheur ; mais il y a des chances dans la navigation comme en tous états…

— Dame ! reprit Arsène, il vaudrait mieux avoir des rentes, c’est clair… Vous avez peut-être trouvé quelque bourgeois pour Votre fille ?… S’il en est ainsi, excusez-moi, père Léonard, je ne suis plus le gendre qui vous convient…

Parlant de la sorte, le marinier prit un sentier qui tournait brusquement à droite, du côté du grandiras de la Loire, et s’éloigna ; mais il n’avait pas marché si vite que le petit bouquet cueilli par Madeleine, lancé par celle-ci, ne vînt effleurer sa joue. Il regarda à travers la haie, et apercevant la jeune fille qui souriait et hâtait le pas pour rejoindre son père : Bon, se dit-il, le vent est contraire, mais j’ai le courant pour moi…

Il pouvait être midi. Le pêcheur et sa fille rentrèrent chez eux pour prendre leur repas, qui consistait régulièrement en une friture de petits goujons ; Arsène regagna son train de bateaux, et le docteur, qui venait d’arriver à sa maisonnette, monta droit à son cabine ! ; de travail. Contre son ordinaire, il se trouvait d’assez mauvaise humeur. Il s’assit d’abord dans un fauteuil, tandis que Bistouri s’installait sur un fauteuil voisin pour faire la sieste, puis il se releva et s’accouda à la fenêtre. Peu à peu la vue du splendide horizon déroulé devant ses yeux lui rendit sa sérénité accoutumée. — Voyons, se dit-il en se tâtant le pouls, je me suis un peu trop agité ; ces mouvemens de colère ne conviennent ni à mon caractère, ni à mon tempérament… Pourquoi diable épouserais-je les intérêts de l’un de ces deux rivaux ? Ce marinier a fort bonne mine, ma foi ! Il a eu tort de tirer les oreilles à mon chien ; mais je n’aurais certes pas pris la