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rossignol, il est en effet un poète dramatique, et l’on pourrait le nommer sans crainte le Shakspeare des oiseaux. M. de Chateaubriand a donné dans le Génie du Christianisme une fort belle description du rossignol, qui est justement admirée, et cependant je n’hésite pas à lui préférer la description de M. Michelet, non comme beauté de style et mérite littéraire, mais comme vérité et exactitude. Il n’y a rien d’exagéré pour qui a été pendant une ou deux saisons l’auditeur assidu des concerts du rossignol dans ces expressions de M. Michelet : « A lui appartiennent les passions de minuit, les mélancolies d’avant l’aube… Approchez-vous, c’est un amant ; éloignez-vous, c’est un dieu. Sa voix remplit toute une forêt. »

Ce qui prête à rire et égaie les esprits peu sensibles à la poésie, ce sont les analogies que l’auteur établit entre les divers caractères moraux de l’humanité et les petits êtres qu’il a pris sous sa protection ; mais je dirai de l’analogie ce que les livres de rhétorique disent de la métaphore. Pour qu’une métaphore soit juste, il n’est pas nécessaire qu’elle soit le miroir exact de la chose qu’elle veut représenter, il suffit qu’elle la rappelle librement pour ainsi dire, qu’elle la fasse lever dans les lointains de l’imagination comme une poétique apparition. Les analogies de M. Michelet, quelque exagérées qu’elles semblent au premier abord, ne sont donc ni fausses ni choquantes ; l’auteur ne fait après tout que continuer à user du droit v dont tous les poètes ont usé largement jusqu’à ce jour. D’ailleurs il se contente d’ordinaire de répéter et de rendre en langage brillant ce qui a été dit avant lui. Les analogies qu’il établit entre le pic et le travailleur populaire, l’alouette et le poète lyrique, le rossignol et le poète dramatique, ont été trouvées avant lui par les instincts du peuple, des rêveurs et des amans. Ce n’est pas lui qui a découvert les ressemblances qui existent entre le gouvernement républicain et les cités des fourmis, entre la monarchie et le gouvernement des abeilles, entre l’industrie et l’araignée, depuis si longtemps métamorphosée dans la personne de la laborieuse Arachné. Toutes ses audaces se réduisent donc, lorsqu’on y regardé de près, à deux ou trois analogies que ne désavoueraient pas les poètes, par exemple à l’analogie qu’il établit entre l’oiseau préféré des symboles féodaux, le héron, et le grand seigneur qui a survécu à la splendeur de sa race. La plus audacieuse de ces figures est l’assimilation de la mer à un gigantesque animal, vague, flottant et informe comme les êtres qu’elle engendre et nourrit. Quelques-uns trouveront exagérée cette comparaison ; pour nous, nous la trouvons poétiquement exacte, car nous avons ressenti en face de la mer exactement la même impression que M. Michelet. Il n’y a qu’une de ses analogies qui nous semble fausse, et que nous ne puissions admettre : celle qu’il établit entre les guêpes et les vierges de Tauride. Son admiration l’emporte