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des éclairs de poésie mélancolique et austère ; mais ces développemens veulent être contenus dans des bornes étroites et précises, ces éclairs de poésie doivent être rapides et ne pas se répéter trop souvent. Aussi les sciences naturelles ne se marient-elles Volontiers à la poésie et à la littérature que dans leurs parties descriptives et historiques ; toutes leurs parties physiques et métaphysiques échappent à l’art. L’art au contraire veut exprimer non des lois générales, mais des caractères tranchés et individuels. Les oiseaux, qui ont le mérite d’être des individus, des personnes, donnaient prise au talent d’artiste de M. Michelet. L’Insecte est écrit avec beaucoup de verve, mais déjà le sujet prête moins. La vie se dérobe au regard chez l’insecte, et se laisse difficilement saisir ; M. Michelet en a fait l’expérience le jour où il a essayé de découvrir au microscope la physionomie de la fourmi sans pouvoir y réussir. Cet infini vivant, qui présente l’aspect d’un fourmillement animé et muet, excite plus d’étonnement que de sympathie ; ces infiniment petits se confondent avec la matière inanimée, avec les terrains et les pierres qu’ils ont contribué à former, avec les montagnes qu’ils ont contribué à exhausser de leurs imperceptibles cadavres, avec le lit des mers qu’ils ont pavé de leurs coquilles, avec les forces mêmes de la création, dont ils ont été pour ainsi dire la gourme. Aussi M. Michelet ne reprend-il tout son talent de peintre que lorsqu’il arrive aux insectes qui s’élèvent à la dignité d’individus, l’araignée, la fourmi, l’abeille, et toutes ces brillantes légions de pierres précieuses vivantes qu’il s’est plu à faire défiler sous nos yeux dans leurs vêtemens d’émeraude, de jaspe et d’or byzantin. La mer est un sujet qui échappe à l’art encore plus que l’insecte, qui rentre encore davantage dans le domaine exclusif, des sciences physiques et naturelles. La poésie véritable de la mer est dans les impressions qu’elle nous laisse et dans les rêveries où elle nous plonge ; on peut dire que le meilleur de cette poésie est dans l’âme du poète. Elle présente par elle-même un spectacle d’une grande poésie, mais d’une poésie qui échappe à l’art par sa nature indéterminée. Pour lui donner un intérêt dramatique, il faudra lui ajouter un élément étranger et jeter l’homme sur cet indéterminé vivant. La vie qui anime la mer est prodigieuse, mais elle est flottante et vague, et l’on a presque tout exprimé sur elle quand on a répété le vers de Goethe dans Faust : « Dans les flots animés, au sein tumultueux de la création… » La mer est peuplée d’êtres sans formes et de tribus silencieuses, dont la non-individualité est la loi, qui vivent par agrégation d’une vie communiste comme les polypes, ou qui, comme les charmantes médusés, oscillent dans une condition équivoque entre la plante et l’animal, entre la vie d’agrégation du polype et l’individualité. Ses poissons flottent, muets, dans un éternel voyage sans but. À l’extrémité