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qui, selon la comparaison heureuse et poétique d’une personne distinguée, semble l’œil d’un veilleur qui par devoir fait effort pour tenir ouverte sa paupière, que le sommeil appesantit. Le chapitre que leur a consacré M. Michelet est presque touchant ; on se sent pris de sympathie pour ces honnêtes phares, qui, fidèles à leur devoir, vous avertissent des écueils et des périls, et qui, s’ils ne peuvent vous sauver, éclairent au m’oins votre naufrage. « C’est beaucoup de voir son naufrage, dit très bien M. Michelet, d’échouer en pleine lumière, en connaissance du lieu, des circonstances et des ressources qui restent. Grand Dieu ! s’il faut périr, fais-nous périr au jour. » Il ne tient qu’à nous de voir dans les phares des personnes, car il paraît que ces honnêtes veilleurs sont exposés à bien des colères et à bien des calomnies. Tel est, paraît-il, le sort du phare de Cordouan. « Quoi qu’il arrivât de la mer, on s’en prenait toujours à lui. En éclairant la tempête, il en préservait souvent, et on la lui attribuait. C’est ainsi que l’ignorance traite trop souvent le génie, l’accusant des maux qu’il révèle. Nous-même nous n’étions pas juste. S’il tardait à s’allumer, s’il venait du mauvais temps, nous l’accusions, nous le grondions. Ah ! Cordouan, Cordouan, ne sauras-tu donc, blanc fantôme, nous amener que des orages ? »

Cette première partie contient le morceau littéraire capital de l’ouvrage, qui est la description d’une tempête dans l’ouest, à Royan, en octobre 1859. Ce n’est pas une tempête classique, et elle ne rappelle en’rien toutes les descriptions que vous avez lues jusqu’à présent de ce terrible phénomène. Oubliez et les tempêtes d’Homère et de Virgile, et la tempête de Paul et Virginie, et le naufrage du deuxième chant de Don Juan. Celle-là est une tempête sui generis, qui rappelle plutôt les belles descriptions de pestes que les descriptions de tempêtes. Je ne trouve en effet rien autre à lui comparer que certains passages de la Peste de Londres de Daniel de Foë. Cette analogie, que je sens mieux que je ne puis la faire comprendre, tient peut-être à la situation de l’auteur, qui a suivi les phases de l’ouragan, à peu -près comme on assiste au spectacle d’une épidémie ; cela tient peut-être aussi aux couleurs crues, triviales, violentes, aux expressions populaires, et même basses, qu’il a employées pour peindre la tempête, comme Daniel de Foë pour décrire la peste. Tout le commencement de la description est charmant, et forme un contraste poétique avec l’horreur des pages qui suivent. L’auteur raconte ses promenades et décrit le théâtre encore paisible de la future tempête : l’air est chaud, la plage pleine de salubres émanations ; il se sent heureux de vivre, et tous les êtres créés pensent comme lui. « Il me semblait que sur ces