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étourdir par ce coup de tonnerre, M. de Persigny ne dit-il pas dans sa lettre qu’il demeure convaincu que « la liberté de discuter les actes de l’autorité est aussi utile au gouvernement qu’au public ? » Les avertissemens donnés aux journaux étant des actes de l’autorité, il s’ensuit logiquement, d’après la déclaration du ministre, qu’ils pourraient être discutés à l’avantage du public et du gouvernement lui-même. Le débat en ce cas, diront quelques esprits chagrins, suivrait le jugement au lieu de le précéder ; c’est vrai, mais il aurait encore une grande utilité, puisqu’il ferait la lumière. Ce serait rendre hommage à la sincérité de M. de Persigny que de le prendre au mot à propos même de l’avertissement à l’occasion duquel il nous reconnaît le droit de discuter librement les actes de l’autorité. Nous ne le ferons pas, non par crainte d’aucun péril, mais par ménagement pour la position personnelle de M. le ministre de l’intérieur. M. de Persigny est évidemment plus libéral que le milieu où il vit ; ses allures, favorables à un mouvement en avant, ont effarouché un certain monde autour de lui.

On le devine à l’accent même de sa lettre au conseiller d’état ; on le pressent lorsqu’on entend parler, dans un récent document officiel, de cette opinion publique qui se serait, dit-on, redressée à l’encontre des fausses interprétations auxquelles le décret du 24 novembre aurait donné lieu. Dans toutes les causes, autour du pouvoir, au sein des partis, il y a toujours des zélateurs excessifs dont tous les chefs d’opinions ont à subir, à dominer, à vaincre les fatigantes obsessions. Écoutez-les : ils sont les amis les plus dévoués du régime ou de la cause ; ils en sont les conservateurs-nés. Braves gens, mais faibles cervelles, leur caractère est digne de toute estime ; leurs intentions sont pures, mais leurs conseils irrités et parfois irritans sont peu comptés par les sages. Nous connaissons probablement depuis plus longtemps que M. de Persigny cette nature de tempéramens conservateurs avec lesquels nous présumons qu’il est aux prises. Il n’est pas d’ailleurs nécessaire d’être au pouvoir pour être affligé d’un tel cortège. Pour nous souvenir d’être modestes, nous n’avons qu’à regarder autour de nous. Quelles extravagances d’opinion et de langage le spectacle des événemens italiens n’a-t-il pas inspirées par exemple à plusieurs de nos meilleurs et plus illustres amis ! Soyons indulgens pour ces indiscrétions et ces inconséquences d’un zèle mal éclairé, mais ne nous en laissons pas étonner au point de perdre l’identité de nos opinions, la suite logique de nos principes, et le sang-froid dans l’action. Nous ne recommandons pas à M. le ministre de l’intérieur d’autres préceptes que ceux que nous nous efforçons nous-mêmes d’observer, et en même temps nous savons faire la part des obstacles qu’il rencontre sur sa route.

S’il nous était permis de nous approprier les hardiesses d’images de M. le président du sénat, nous prendrions pour nous une part de ces « illusions oublieuses » qu’aurait fait naître, suivant lui, le programme du 24 novembre. Nos lecteurs nous sont témoins que nous avions apporté une grande