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REVUE. — CHRONIQUE.

la belle jeunesse qu’il a occupé pendant si longtemps, s’est absolument refusé à porter le costume d’une ville de puritains, comme l’était Boston au commencement du XVIIIe siècle. Et voilà ce que devient la vérité de l’histoire entre les mains des censeurs, des librettistes et des virtuoses italiens ! Encore une fois, M. Richard Wagner a raison de s’élever contre de si monstrueuses licences, et de prétendre que le compositeur ne soit pas condamné à subir les caprices d’un vieux Lindoro.

Nous n’en sommes pas à faire notre profession de foi en ce qui touche le talent de M. Verdi et le caractère général de son œuvre, plus abondante que variée. Nous pensons avoir rendu ici aux qualités incontestables de ce compositeur vigoureux et passionné la juste part d’éloges qui leur revient. Nous sommes si convaincu d’être resté dans la vérité en parlant de l’auteur d’Ernani, de Rigoletto et d’Il Trovatore, que nous poussons l’illusion jusqu’à croire que notre jugement ne sera pas cassé. Quand l’Italie n’aura plus la fièvre et qu’elle pourra envisager de sang-froid l’idole qu’elle encense depuis vingt ans, elle admirera toujours certaines beautés de M. Verdi, sans méconnaître les nombreux défauts qui déparent ses ouvrages. Elle reconnaîtra alors que les réserves d’une saine critique, loin de contrarier l’essor du génie, lui sont un stimulant nécessaire pour agrandir son horizon et pour épurer la forme où il se manifeste. Ne craignons pas de répéter ce que nous avons dit bien souvent ici. Deux choses expliquent le succès exagéré des opéras de M. Verdi : le talent du maître et l’état moral où se trouvait l’Italie lorsque ce chantre des passions extrêmes lui est apparu. L’Italie se préparait alors à accomplir l’œuvre de sa délivrance ; elle voulait être passionnée, remuée, exaltée, et ne voulait plus rire de ce rire bénin, tout domestique, de Cimarosa, ni se laisser aller à l’ironie débilitante de Rossini. Elle trouva dans M. Verdi le musicien qu’il lui fallait, aux accens âpres, aux rhythmes vigoureux, aux mélodies courtes, mais ardentes, aux morceaux d’ensemble pleins d’unissons victorieux, à l’instrumentation fruste, mais puissante et colorée.

Chia l’abitator dell’ombre eterne
Il raucco suon della tartarea tromba,
Treman le spazioso atre caverne.


Il y a de ces intonations-là dans Nabucco, I Lombardi, dans Ernani, Il Trovatore et Rigoletto. C’est ce que voulait l’Italie ; aussi a-t-elle, acclamé le barde qui lui communiquait la sainte fureur dont elle est encore pénétrée. Il n’y a pas d’ouverture à l’opéra d’un Ballo in maschera, mais un simple prélude symphonique auquel s’enchaîne un chœur que chantent les courtisans du comte Ricardo, chœur qui est fort joliment accompagné. Le comte, qui survient et qui prend les nombreuses pétitions qu’on lui présente, exprime dans une romanza que le chœur accompagne le sentiment unique qui le préoccupe, son amour pour Adelia. Sans être remarquable, ce morceau remplit bien la place qu’il occupe. Une scène plus saillante est celle où Renato, l’ami et le secrétaire du comte, lui demande de quel chagrin son cœur est pénétré : il en résulte un air, pour voix de baryton, qui n’a rien de bien nouveau quand on connaît les œuvres de M. Verdi, mais qui produit de l’ef-