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cela trouve sa place au milieu des appréhensions politiques du correspondant de Mme d’Albany.

Le palais du Lung’Arno a-t-il donc un salon politique et littéraire qui mérite une mention, comme celui du château de Coppet, dans l’histoire de la société européenne sous le régime impérial ? Oui, certes, ce salon existe, et il ne tardera pas à exciter la colère du maître. Ne croyez pas cependant que la physionomie de cette réunion soit aussi vive, aussi décidément hostile. Mme d’Albany s’accommode encore mieux du despotisme que de l’anarchie. Ce n’est pas elle qui dirait Malo periculosam libertatem. C’est un peu une reine fainéante que cette aristocratique personne ; elle assiste à un spectacle, elle ne prend pas une part active à la lutte. Amie de la société choisie, éprise du charme de la conversation et des beaux-arts, elle admet chez elle des représentans de tous les régimes. Si elle a fermé obstinément sa porte au général Clarke, au futur duc de Feltre, alors qu’il était tout-puissant à Florence (1807), elle recevra l’année suivante M. le baron de Gérando, chargé d’une haute mission administrative en Toscane. C’est l’époque où la Toscane, déjà enlevée à la maison d’Autriche après la paix de Lunéville et donnée, sous le nom de royaume d’Étrurie, au prince héréditaire de Parme, vient d’être annexée à la France. Elle forme désormais trois départemens, l’Arno, l’Ombrone, la Méditerranée, mais trois départemens ayant encore une sorte d’unité distincte au sein de l’empire, puisque la sœur de Napoléon, Élisa Bonaparte, princesse Bacciocchi, princesse de Lucques et de Piombino, vient d’obtenir, avec le titre de grande-duchesse de Toscane, le gouvernement de la Méditerranée, de l’Ombrone et de l’Arno. La grande-duchesse Élisa, bonne, gracieuse, charitable, protectrice intelligente des lettres et des arts, avait réconcilié bien des cœurs avec la domination française. Son autorité, trop souvent gênée, il est vrai, par les émissaires de la police impériale, s’était toujours montrée bienfaisante. M. de Reumont, qui connaît si bien la Toscane, et dont le témoignage n’est pas suspect, affirme qu’aujourd’hui encore la mémoire de la grande-duchesse est vénérée à Florence. Si nous avions les lettres de Mme d’Albany, il est probable qu’on y trouverait la trace de ses relations avec la grande-duchesse Élisa. Celle qui était l’amie de Joséphine en 1801 ne pouvait refuser les mêmes sentimens à sa belle-sœur, au moment où la gracieuse princesse s’efforçait si libéralement d’adoucir l’oppression commune. Très pacifique, je le répète, Mme d’Albany avait donc toute sorte de raisons pour ne pas donner un caractère hostile aux réunions mondaines qu’elle présidait. Sa joie et son grand art, c’était d’y faire briller les esprits les plus divers. Je trouve dans les