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Kauffmann, Thorwaldsen, Canova lui-même, ne trouvent pas grâce devant sa critique un peu dédaigneuse et altière ; on s’aperçoit aisément qu’elle subit l’influence de Fabre. Elle y résistait cependant quelquefois, comme on peut le voir dans ces pages étincelantes que Paul-Louis Courier a intitulées : Conversation chez madame la comtesse d’Albany. Au printemps de l’année 1812, Fabre et la comtesse étaient allés de Rome à Naples en compagnie de Paul-Louis Courier et d’un célèbre antiquaire anglais, M. James Millingen. C’est dans ce voyage, c’est à Naples, dans le salon de la comtesse, en face de Pausilippe, qu’eut lieu cette conversation si spirituellement développée par Paul-Louis. Le récit de Courier montre bien l’espèce d’importance que Fabre avait acquise dans le monde, soit que la comtesse d’Albany l’eût élevé à son niveau, comme dit M. de Lamartine, soit que, par sa compétence en matière d’art, de goût, d’érudition et de procédés pittoresques, l’élève de David fût devenu en effet une légitimé autorité pour ses contemporains. Nous avons déjà vu son maître David et son camarade Girodet apprécier son Jugement de Paris, nous avons vu l’estime que lui témoigne M. Bertin ; bien d’autres lettres, dont la bibliothèque de Montpellier a le dépôt, prouveraient que Fabre était considéré comme un connaisseur du premier ordre et consulté souvent par les maîtres. Je ne parle pas seulement de ses camarades Girodet, Gros, Gérard, Guérin, Michallon, Boguet, Granet, qui eurent plus d’une fois recours à son érudition, à la minutieuse étude qu’il avait faite de tous les secrets du métier ; voici un détail plus significatif : parmi les lettres que lui adresse le peintre Mérimée, il y en a une dans laquelle Fabre est interrogé au nom de l’Institut, au nom de l’Académie des Beaux-Arts, sur la valeur et l’authenticité d’un tableau. Il s’agit d’un portrait de Raphaël que Raphaël aurait fait lui-même pour un certain Bindo Attoviti. L’œuvre est belle. Est-ce une copie ? Est-ce un original ? Après un long examen, l’Académie hésite et décide que Fabre sera consulté. Ce sont là des titres à coup sûr : eh bien ! Paul-Louis Courier nous montrerait l’artiste de Montpellier sous un jour plus favorable encore, si l’on pouvait prendre au pied de la lettre cette Conversation chez madame la comtesse d’Albany ; mais non, Courier n’est pas homme à tenir simplement la plume pour mettre en relief les idées d’un compagnon de voyage. Sans doute les principes de littérature et d’art que Fabre soutient dans cette discussion sont bien ceux qu’il professait ; ce sont surtout les principes de Courier, et s’il donne le beau rôle à son interlocuteur, s’il a l’air de se laisser battre, ne vous y trompez pas, c’est une ruse de guerre vis-à-vis du public. En même temps qu’il fait acte de courtoisie envers l’ami de la comtesse, il fait passer plus aisément, sous la responsabilité d’un artiste, les brillantes fantaisies de sa critique littéraire. Fabre était un causeur habile ; mais cette