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de place à l’enseignement de la philosophie. Le pauvre professeur suppléant mourait de faim. Les garnisaires français dévoraient son petit patrimoine, et ses cours ne lui rapportaient rien. On le voit obligé d’emprunter quelques écus à Goethe, qui lui-même était alors dans la gêne. Hegel finit par quitter la chaire académique pour prendre la plume du journaliste. Il se réfugia en Bavière, où pendant dix-huit mois il rédigea la gazette de Bamberg. La variété de ses connaissances le rendait plus propre à ce nouveau métier qu’on ne pourrait croire. Il y apporta, sinon une indépendance que les circonstances ne comportaient pas, du moins du bon sens et de la modération, Au surplus, il né resta pas longtemps sous le joug ; il devint en 1808 recteur du gymnase de Nuremberg, établissement qu’il n’était pas seulement appelé à diriger, mais où il avait en outre à faire un cours élémentaire de philosophie. Ce fut pour lui une occasion de revoir et de compléter l’ensemble de ses doctrines. Il leur donna leur forme définitive dans sa Logique et leur forme complète dans son Encyclopédie des Sciences philosophiques. Ce dernier livre fut publie à Heidelberg, où l’auteur avait été appelé en 1816 comme professeur de philosophie.

La dernière période de la vie et des travaux de Hegel commence en 1818, époque à laquelle il alla occuper à Berlin la chaire que la mort de Fichte avait laissée vacante. Cette période est celle où, dans ses cours et dans ses livres, il multiplie les applications de son système, où il voit se presser autour de lui de nombreux disciples, qui, maîtres à leur tour, s’empressent de propager ses doctrines, où il jouit d’une gloire croissante et incontestée. Toutes les sciences viennent se rajeunir à la source de la métaphysique nouvelle ; la politique même y puise des inspirations. Le monde pensant est aux pieds du professeur. Jamais on ne vit de royauté intellectuelle mieux établie. C’est au milieu de ce triomphe que le choléra, qui faisait alors sa première apparition en Europe, vint frapper l’illustre victime. Hegel mourut le 14 octobre 1831, à l’âge de soixante ans. Dans l’excès de leurs regrets et de leur enthousiasme, ses disciples allèrent jusqu’à le comparer à Alexandre le Grand et à Jésus-Christ. Ils consultèrent mieux les intérêts de sa mémoire en publiant les dix-huit volumes de ses œuvres complètes. On chercherait vainement ailleurs un monument aussi prodigieux d’érudition et de profondeur spéculative.

Hegel n’était pas un homme tout d’une pièce. On a publié quelques-unes de ses lettres ; elles sont surtout remarquables en ce qu’elles n’ont rien de très saillant. Dans les dernières années de sa vie, il employait ses vacances à voyager. Il visita ainsi les Pays-Bas, Vienne, Paris. Il faut voir avec quelle régularité il envoie à Mme Hegel de minutieux récits de ses mouvemens, notant la manière dont