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symbolique d’une phase de l’esprit humain. L’auteur n’a pas évité les écueils du genre. Le choix des faits qu’il élève à la valeur d’un type est souvent arbitraire. La fantaisie de l’écrivain, les préoccupations du moment y ont inévitablement quelque part. Quand Hegel fait de l’histoire d’Œdipe et de ses fils l’emblème des idées morales de l’antiquité grecque, on reconnaît le savant qui, dès le collège, s’est passionné pour Sophocle, qui a traduit et retraduit l’Antigone. Si la corruption d’une civilisation qui se décompose est peinte sous des traits empruntés au Neveu de Rameau, on se rappelle que Goethe venait de faire connaître à l’Allemagne cette vive et forte création de Diderot. Il n’en est pas moins vrai que ce procédé symbolique fit l’un des charmes de la Phénoménologie. Les lecteurs de ce temps-là n’étaient pas encore blasés par l’abus des généralisations historiques. D’ailleurs la véritable puissance de Hegel consistait dans l’alliance déjà signalée d’une vive intelligence des faits et d’une rare aptitude à les interpréter par leurs lois générales. Les plus féconds de ses ouvrages, les écrits par lesquels il a exercé une influence durable ne sont pas ceux qui renferment la déduction des catégories ou la reconstruction de la nature, mais plutôt ceux dans lesquels il a tracé à grands traits l’histoire des peuples, des religions et des philosophies. Hegel restera, non comme métaphysicien : la bulle de savon a crevé depuis longtemps, — non comme physicien spéculatif : notre siècle n’admet plus de pareilles prétentions ; — il restera comme le penseur qui a cherché dans le développement historique des choses leurs lois, leur nature et leur substance.

Je ne m’arrête pas à la Logique, qui a passé tout entière dans l’Encyclopédie, et j’arrive à ce dernier ouvrage, celui dans lequel l’auteur nous a donné, avec l’expression définitive de sa pensée, un résumé complet de son système. C’est là qu’il faut étudier la philosophie hégélienne, si on veut l’apprécier dans son ensemble ; c’est en suivant ce guide que je vais essayer de rendre compte d’une doctrine qui a sa place assurée parmi les grands monumens de la pensée.


II

Je me hâte de le dire, je n’ai aucune envie d’écrire une fois de plus, à propos de Hegel, cette histoire de la philosophie moderne que chacun refait en la tirant de son côté et en la taillant selon les besoins de sa cause ; toutefois il est indispensable, pour comprendre le philosophe qui va nous occuper, de savoir quelle est sa place dans la succession des idées. Voilà ce qu’il faut d’abord déterminer.

Le vulgaire croit à soi, à ses sens et à sa raison ; il croit de plus