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en d’autres termes, si le propre de l’idée n’est pas de se réaliser toujours sans y jamais parvenir, d’être à la fois éternellement réalisable et irréalisable. Hegel à la vérité s’était montré singulièrement réservé ou incertain quant à l’application de cette loi. Il était difficile de décider si la personne et la vie du fondateur du christianisme étaient, à ses yeux, une manifestation complète ou seulement une manifestation éminente de l’absolu. On ne pouvait guère mieux déterminer si la réalisation de l’idée consistait, à son sens, dans la nature même du Christ ou dans la doctrine que l’église a établie sur ce point, et par conséquent si la réalisation de l’idée, pour lui, était un fait divin ou humain, positif et historique ou intérieur et spirituel, une histoire ou une croyance. Toutefois, si les assertions éparses dans les œuvres de Hegel étaient équivoques, la tendance de ses spéculations ne l’était pas, et c’est à l’esprit général du système ou à ce qu’il prit pour tel que Strauss s’attacha. Il avait d’abord ordonné son sujet d’après la formule consacrée. L’histoire évangélique lui offrait, comme point de départ, l’affirmation première, la foi immédiate et naïve ; les hérésies anciennes et la critique moderne jouaient le rôle de cette négation qui suit toute affirmation ; enfin la théologie hégélienne représentait la croyance primitive sortie de l’épreuve, la critique revenue à la foi, la conciliation triomphante des contraires. On peut encore distinguer ce plan dans l’ouvrage de Strauss. En effet, si la partie critique a fini par y prendre à peu près toute la place, l’auteur a cependant suivi une méthode qui consiste à partir du récit évangélique comme de l’expression spontanée de la croyance et à poursuivre ensuite cette croyance à travers les négations de la science. D’un autre côté, il a placé à la fin de ses volumes des considérations générales dans lesquelles il s’attache à restaurer ce qu’il a renversé, et après avoir montré comment la science s’écarte de la foi, à montrer qu’elles ont un fond commun et doivent arriver à se concilier. Ici interviennent les catégories hégéliennes : le Christ a disparu comme personne et comme fait, il demeure comme idée. L’église a vu en lui l’union de Dieu et de l’homme, et l’église ne s’est point trompée ; seulement cette union ne s’est pas consommée dans un individu, elle se réalise dans l’humanité. Le Christ est un des hommes dans lesquels l’absolu s’est manifesté de la manière la plus sensible : à cet égard, il reste unique dans l’histoire ; mais cela ne veut pas dire que sa doctrine puisse échapper aux modifications que l’esprit humain, en se développant, ne saurait manquer d’y apporter.

Telle était la conclusion philosophique du livre, et tandis que le gros du public s’arrêtait aux procédés critiques de l’auteur, les gens sérieux comprirent que la véritable question, la question menaçante et décisive, était posée dans le dernier chapitré. On se demanda avec