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des bains froids ! Qu’on ne croie pas que j’exagère ; je résume fidèlement les idées que M. Feuerbach exposait en 1841 dans son livre sur l’Essence du Christianisme. Ce livre, devenu célèbre, est surtout remarquable par la rigueur avec laquelle il part des prémisses posées par la philosophie moderne. L’auteur n’est pas précisément hégélien, mais il procède de Hegel ; l’ouvrage évite comme à dessein d’indiquer sa filiation, mais il est plein des formules que nous connaissons : c’est, pour ainsi parler, Hegel retourné contre lui-même.

Malsain, échauffé, déclamatoire, l’ouvrage de M. Feuerbach a développé la philosophie spéculative, mais en la corrompant. Il l’a jetée hors de ses voies en lui faisant abandonner l’absolu pour le fini, les préoccupations scientifiques pour des intérêts, l’idéalisme pour le naturalisme. Le livre ne pouvait manquer d’être dépassé à son tour. Après le culte du génie, on eut le culte de la chair. Après la loi d’amour, que proclamait encore M. Feuerbach, on eut la loi sacrée de l’égoïsme promulguée par M. Gaspard Schmidt, plus connu sous le pseudonyme de Stirner. La révolution et le socialisme firent invasion dans la doctrine. Les événemens de 1848 en Allemagne eurent ceci de particulier, qu’ils furent comme les saturnales de la philosophie. Arrivés ici, nous ne sommes plus en présence d’une évolution, mais d’une décomposition, d’une fermentation putride. Le plus puissant mouvement de la pensée spéculative a abouti au scandale, à la folie, au néant.

Nous venons de voir l’hégélianisme entrer en conflit avec les instincts libéraux et avec les besoins religieux. Pour rendre complètement compte du travail par l’action duquel il a été insensiblement miné, il faudrait encore signaler les progrès des sciences naturelles, les magnifiques résultats obtenus par la méthode expérimentale, ces grandes découvertes qui, en établissant la sûreté du procédé d’observation, semblent établir par contre-coup l’insuffisance des démonstrations a priori. On ne peut se le dissimuler, la philosophie positive, celle qui se borne à observer, à grouper et à réduire en système, tend à envahir la place jadis occupée par la métaphysique, c’est-à-dire par la science qui part de l’idée pour expliquer le monde. Eh bien ! l’hégélianisme, par sa perfection même, par la variété des applications qu’il avait tentées, par l’audace avec laquelle il avait entrepris d’expliquer l’univers, l’hégélianisme a contribué à ruiner la confiance des hommes dans la pensée pure. Il a fait faillite, et c’est le positivisme qui a pris la suite de ses affaires.


VI

Une philosophie n’est jamais renversée par des argumens ; on ne la réfute pas, elle se réfute elle-même. Une philosophie est une