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du roi de Navarre, non moins ardemment dévouée à la cause de la réforme, exerça autour d’elle une action plus puissante encore. Établie sur le pied d’une souveraine en son grand château de Blain, elle y fonda la première église protestante inaugurée en Bretagne, la seule qui ait conservé pendant une trentaine d’années une véritable importance[1]. L’influence des deux églises établies par Dandelot et par Mme de Rohan à La Roche-Bernard et à Blain rayonna d’un côté jusqu’à Nantes, de l’autre jusqu’à Vitré, principale seigneurie de la maison de Laval ; des prêches furent institués dans ces villes et dans quelques villages voisins ; cependant à Nantes même le chiffre des religionnaires atteignit à peine quelques centaines, et le nombre en fut toujours insignifiant dans les localités moins importantes. La Saint-Barthélémy, dont l’honneur breton repoussa l’odieuse solidarité, ne fit pas une seule victime dans cette province ; mais l’effet en fut assez grand pour y paralyser presque complètement une doctrine dont les progrès étaient déjà entravés par l’unité morale qui s’y maintenait depuis tant de siècles entre les diverses classes de la société. De vingt-deux qu’il avait été vers 1560, le nombre des prêches tomba à huit vers la fin de 1572, et la liberté religieuse, proclamée plus tard par les édits, restreignit encore en Bretagne, au lieu de l’y accroître, le chiffre des religionnaires.

Tandis que le sang coulait dans tout le royaume, depuis le Languedoc jusqu’aux marches du Poitou, la Bretagne était tranquille malgré quelques collisions dont Crevain a démesurément grossi l’importance. La formation même de la ligue n’eut pas la puissance de l’agiter. Plus de deux ans après la signature de la sainte union, cette grande province y était demeurée étrangère, soit qu’elle ne crût pas la religion catholique en péril, soit que sa droiture d’esprit pénétrât les calculs secrets des factions princières cachés derrière les manœuvres des partis. Sous le règne de Charles IX et durant la première moitié du règne d’Henri III, la Bretagne, malgré l’ardeur si connue de ses sentimens catholiques, n’avait pris de rôle actif

  1. Lorsque le duc d’Étampes, pour dérober la maison de la vicomtesse de Rohan à la rigueur des premiers édits qui interdisaient l’exercice du culte protestant dans le royaume, demanda à cette dame la liste de ses serviteurs personnels, elle en produisit une comprenant les noms de la plus grande partie de ses vassaux. le gouverneur se récriant sur l’invraisemblance d’un chiffre aussi manifestement exagéré, la vicomtesse répondit avec hauteur qu’un tel nombre de serviteurs ne pouvait étonner pour la fille d’un roi et une si grande dame qu’elle était. — Ce que je dis sur la réforme est tiré de l’histoire manuscrite de Crevain Histoire du Calvinisme en Bretagne). Ce travail, auquel dom Taillandier n’a emprunté que quelques citations, fait le pendant du piquant et beaucoup plus spirituel manuscrit du chanoine Moreau, conseiller au présidial de Quimper Histoire de la Ligue en Cornouaille), récemment publié à Saint-Brieuc par les soins de M. le Bastard du Mesmeur.