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que le gouverneur se retrouva maître du pays, une forêt de potences s’éleva à Quimper, à Pontivy, à Guingamp, à Tréguier, et des centaines de malheureux, pris à peu près au hasard, vinrent expier des violences très coupables assurément, mais dont la responsabilité politique remontait à d’autres ; Si l’insurrection avait été sauvage, la répression fut atroce et s’étendit à toute la Basse-Bretagne : sur sa côte la plus reculée, du lieu même où j’écris ces pages, j’aperçois la tour judiciairement démolie de l’une des paroisses confédérées, et peut-être à l’horizon s’élèvent encore quelques-uns des chênes séculaires aux branches desquels furent accrochées vingt-deux victimes[1].

Le duc de Chaulnes rentra à Rennes en conquérant, « en ordre de bataille et marche de guerre, dit un témoin oculaire, l’infanterie mèche allumée des deux bouts, balle en bouche, et les officiers à la tête de leurs compagnies[2]. » Quatre jours après, le 16 octobre 1675, le conseil du roi rendait à Versailles un arrêt qui ordonnait la démolition de tout un faubourg de Rennes renfermant une population d’environ quatre mille âmes. Mme de Sévigné vit errer en pleurs, au sortir de Rennes, ces malheureux qu’il était défendu de recueillir sous peine de mort, qui n’avaient ni nourriture ni de quoi se coucher[3]. Une ancienne capitale mise à sac, sa population divisée en trois classes selon les fortunes et soumise à une énorme contribution de guerre, le parlement, source de sa richesse, objet constant de ses complaisances et de son orgueil, transféré à Vannes, et que Rennes ne reconquit, au bout de plusieurs années, qu’au prix d’une contribution extraordinaire de 500,000 francs, c’étaient là de grands maux sans doute : ils disparaissaient toutefois auprès d’une douleur bien plus cruelle encore. Après la rentrée du duc de Chaulnes dans la capitale de la province, dix mille hommes étaient venus renforcer son armée, et, s’établissant dans les villages comme en pays conquis, vivaient à discrétion chez les malheureux habitans. Cette occupation impitoyable fut signalée par des forfaits sans nom, exposés par Mme de Sévigné avec un dégagement qui attriste, et qu’un contemporain moins spirituel, mais plus ému, raconte dans ces lignes dont la lecture donne le frisson : « Plusieurs habitans de cette ville et faubourgs de Rennes ont été battus par des soldats qui étaient logés chez eux. Les soldats ont tellement vexé les habitans qu’ils ont jeté de leurs hôtes et hôtesses par les fenêtres, après les avoir battus et excédés, ont violé des femmes, lié des enfans tout nus sur des broches pour les vouloir faire rôtir, rompu et brûlé les meubles,

  1. La commune de Combrit, arrondissement de Quimper.
  2. Journal manuscrit de M. de La Courneuve.
  3. Lettre à Mme de Grignan du 30 octobre 1675.