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démoli les fenêtres et vitres des maisons, exige grandes sommes de leurs hôtes, et commis tant de crimes qu’ils égalent Rennes à la destruction de Hierusalem[1]. »

Pendant que les splendeurs de Versailles fascinaient l’Europe, que Racine faisait soupirer Bérénice, et que Bossuet enseignait les justices de Dieu à ceux qui jugent la terre, ces choses-là se passaient sans bruit et sans écho dans une loyale province demeurée à peu près seule paisible à l’ouverture du grand règne et dans la faiblesse du grand roi ! Et dans quelles circonstances de telles horreurs étaient-elles consommées ? Lorsque les états rassemblés à Dinan, afin de désarmer à force de dévouement une inexorable justice, sanctionnaient par acclamation toutes les mesures financières prises par la cour, ajoutant à cet acte de respectueuse obéissance un don gratuit de 3 millions voté sans débat ! C’était sous le coup de ces désastres que Mme de Sévigné s’écriait qu’il n’y avait plus de Bretagne[2], et qu’un mois après la monarchique marquise s’étonnait qu’en quelque lieu du monde on puisse aimer un gouverneur[3]. Le 2 mars 1676, une amnistie incomplète[4] vint enfin arrêter le marteau des démolisseurs et permettre à la Bretagne de respirer sous ses ruines.

Ce n’étaient pas seulement les forteresses et les maisons que le pouvoir absolu renversait dans la péninsule. Le règne de Louis XIV y fit table rase d’un système municipal aussi vieux que la Bretagne elle-même. En 1685, le ministère avait repoussé, comme peu agréables au roi, trois candidats choisis par l’assemblée de ville pour remplir les fonctions de maire à Nantes, et par un respect ironique pour les droits des électeurs il avait été prescrit que trois nouveaux candidats choisis avec une entière liberté de suffrage fussent présentés à sa majesté. En 1693, le maire de la même ville touchant au terme de son mandat, l’assemblée était sur le point de se réunir pour désigner à la couronne des candidate selon l’usage. Ce fut alors que le roi investit des fonctions de maire de la ville de Nantes, érigée en office héréditaire, le sieur de Port-Lavigne. « Cette ordonnance, dit un écrivain breton, en même temps qu’elle changea nos maires électifs en très humbles valets de sa majesté, annulait l’élection du premier chef de la milice, puisque le maire en était

  1. Journal de Du Chemin, 13 décembre 1676, cité par M. de La Borderie, p. 192. Voyez aussi le Journal du procureur Morel, ibid.
  2. Lettre du 30 octobre 1675.
  3. Lettre du 27 novembre 1675.
  4. Les lettres-patentes du roi portant amnistie exceptèrent de cette mesure cent soixante-quatre personnes, réparties entre cinquante-huit villes ou paroisses rurales de la province.