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à la masse déjà lourde des charges publiques. Cependant les choses changèrent, et pour toujours, aux états de 1764. Sous l’influence des théories triomphantes et des nouvelles espérances auxquelles s’ouvraient déjà les cœurs, le tiers se rapprocha momentanément de la noblesse, afin de combattre le pouvoir, et les états, unanimes cette fois, prescrivirent à leur procureur-général syndic de s’inscrire contre la perception de deux nouveaux vingtièmes prescrits par un arrêt du conseil. Mis ainsi en demeure, le parlement vint prêter aux états toute son autorité, en cassant, comme attentatoire aux droits de la province, l’arrêt du conseil royal, interdisant de plus à tous agens du fisc, sous peine de forfaiture, la perception des vingtièmes. « Le roi alors adressa des lettres-patentes à cette compagnie pour lui imposer silence. Le parlement les lui renvoya par la poste, et, toutes affaires cessantes, décida que l’administration de la justice restait suspendue en Bretagne[1]. » Quelques semaines après, les magistrats bretons, mandés à la cour, paraissaient devant Louis XV, et le prince, avec cette majesté d’attitude qui voilait encore chez lui l’évanouissement de la puissance, après leur avoir adressé de vifs reproches sur une démarche sans exemple, leur ordonnait de retourner à leur poste pour y exécuter les ordres de son conseil et reprendre la suite de leurs travaux ; mais avec tout ce qu’il fallait pour provoquer partout l’agitation, ce triste pouvoir manquait des conditions nécessaires pour susciter la crainte. Sous l’influence d’entraînemens irrésistibles, la magistrature elle-même s’engageait dans les voies les plus contraires à ses traditions. À peine rentrés à Rennes, les membres du parlement, au nombre d’environ quatre-vingts, s’entendaient pour adresser au roi leur démission concertée, et le 25 avril 1765 la ville, en s’éveillant, apprit que la province n’avait plus de tribunaux, et que, pour marcher à la conquête de destinées nouvelles, l’antique sénat de la Bretagne avait spontanément rompu ses liens avec la monarchie et avec l’histoire.

On connaît les incidens de la lutte terrible à laquelle ne mit pas fin l’avènement du plus doux des monarques. L’on sait que durant trois ans un illustre procureur-général disputa sa tête à des commissaires, tandis que le représentant direct de l’autorité royale en Bretagne était, par arrêt du parlement de cette province, renvoyé devant la première juridiction du royaume pour répondre à la plus flétrissante des imputations. D’un côté, le pouvoir absolu, acculé à ses derniers retranchemens, construisait contre La Chalotais une accusation de haute trahison, en la fondant sur de ridicules lettres

  1. M. Du Chatellier, Histoire de la Révolution dans les départemens de l’ancienne Bretagne, tome Ier, page 16.