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gravés sur un bloc unique, ni même le secret de varier la composition de ce texte en employant, non plus un ensemble de lettres taillées et alignées dans un ordre immuable, mais bien des types isolés et se prêtant aux combinaisons les plus diverses. Il faut s’en rapporter sur ce point au témoignage de l’un des ouvriers de Gutenberg, Ulrich Zell, qui, loin d’attribuer à son maître l’invention absolue des types mobiles, ne fait qu’opposer au procédé connu et pratiqué dans les Pays-Bas avant la seconde moitié du XVe siècle « le procédé tout autrement subtil et habile (la fonte des caractères) que l’on trouva plus tard. » Et Ulrich Zell ajoute : « La première idée de cette invention a été prise en 1440 dans les Donats[1] qu’on imprimait avant ce temps en Hollande. » Or, si ces Donats, comme le fait remarquer M. Léon de Laborde, n’avaient pas été imprimés au moyen de types mobiles, à quoi bon les citer de préférence à tant d’autres pièces contemporaines qui auraient pu tout aussi bien servir d’exemples à Gutenberg ? Pourquoi l’élève de celui-ci, en remontant aux origines de la découverte, ne dit-il rien de ces images avec légendes taillées suivant les procédés xylographiques qui se vendaient dans toutes les villes sur les bords du Rhin, et que le futur inventeur de l’imprimerie avait eu cent fois l’occasion de voir et d’étudier ? Il fallait, pour que son attention se concentrât ainsi sur un seul objet, qu’un mérite tout particulier, un progrès véritable dans le mode d’exécution, distinguassent des autres produits les Donats imprimés à Harlem ; il fallait que Laurent Coster, — c’est le nom que l’on donne à l’inventeur du procédé amélioré par Gutenberg, — eût déjà mis en pratique une méthode plus proche qu’aucune autre des perfectionnemens qui allaient ouvrir l’ère nouvelle et marquer le terme de tous les essais. Que l’on suppose le contraire, on ne s’explique plus les paroles d’Ulrich Zell ni le genre de supériorité qu’elles semblent accorder à ces livres hollandais où Gutenberg puisa « la première idée de son invention. » On s’expliquera plus difficilement encore, si ces Donats ont été imprimés sur des planches fixes, comment, dans les fragmens qui subsistent, il se trouve des lettres renversées. Rien de moins extraordinaire qu’une pareille faute pour peu qu’on l’attribue à la distraction d’un compositeur d’imprimerie, mais la méprise eût été vraiment trop forte sous la main d’un ouvrier xylographe. En vertu de quel caprice en effet celui-ci se serait-il avisé de graver des lettres la tête en bas, c’est-à-dire de pécher non par oubli involontaire, non par inadvertance, mais par une sorte d’injure calculée au bon sens et d’infidélité à sa tâche ? — Non, il convient de voir dans la découverte qui

  1. On sait qu’il est d’usage de désigner ainsi les traités sur la syntaxe latine d’AElius Donatus, grammairien du IVe siècle. Ces traités étaient fort répandus au moyen âge dans les universités et dans les écoles.