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l’abus des crédits supplémentaires et extraordinaires. Avec des crédits dont l’importance n’est souvent révélée qu’à la fin d’un exercice, il est impossible de tenir véritablement les finances dans sa main, de mesurer la dépense à la recette. Certes personne ne peut mettre en question les ressources financières de la France, il n’en est peut-être pas de plus considérables dans le monde ; mais le laisser-aller avec lequel on a, dans ces derniers temps, forcé les dépenses a des inconvéniens de plus d’une sorte, qui peuvent même, en certaines circonstances, créer de graves dangers. De là ces consolidations en rentes des fonds provenant de la caisse de dotation de l’armée, qui équivalent à un emprunt annuel et à une augmentation progressive et permanente de la dette publique ; de là le maintien d’impôts qui devaient cesser avec la guerre, comme le double décime, la création de taxes maladroites, comme l’impôt sur les valeurs mobilières ; de là des opérations de trésorerie qui, venant mal à propos, affectent défavorablement le crédit de l’état, et peuvent augmenter les difficultés du crédit commercial. Ces fâcheuses conséquences du laisser-aller de notre administration financière ont déjà excité l’attention du corps législatif, qui va faire sans doute, si les entraves de son règlement le lui permettent, un vigoureux effort pour les prévenir. Elles frappent en ce moment des esprits qui ne peuvent être soupçonnés d’hostilité contre le gouvernement. On parlait récemment de la possibilité d’un remaniement ministériel. On nommait, comme devant prendre le département des finances, un ancien ministre, que ses aptitudes spéciales désignent en effet pour ce poste difficile. Nous ne savons si ces rumeurs avaient le moindre fondement. Quant au personnage que l’on appelait ainsi au ministère des finances, il a des amis qui ne font point mystère de ses sentimens. Suivant leur témoignage, il n’accepterait le fardeau des finances qu’à la condition d’avoir un droit de limitation sérieuse sur les dépenses de ses collègues. Un tel droit n’équivaudrait-il pas à une prééminence reconnue ? Ne serait-ce point un acheminement à l’organisation d’un cabinet sous un premier ministre, un retour à la discipline ministérielle des cabinets parlementaires ? Voilà encore un de ces effets pratiques des nécessités de gouvernement qui, en dépit de toutes les préventions théoriques, nous ramènent aux conditions véritables du gouvernement constitutionnel.

Si la satisfaction ne nous est point encore donnée de connaître le système politique qui dirigera la France au milieu de la rénovation commencée en Europe, on entrevoit du moins, soit en écoutant les vœux de l’esprit public, soit en calculant la force des choses, le chemin où nous devrons marcher. En présence des événemens qui s’accomplissent et de ceux qui se préparent, comment ne se ferait-il point dans les âmes une sorte de frémissement ? comment l’ancien silence au milieu duquel nous avons vécu ne serait-il point troublé enfin par un premier bruissement d’idées ? La flamme politique commence à se rallumer dans les conversations. Des voix éloquentes et