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leurs bestiaux à un ou deux kilomètres pour les abreuver. Or à cette époque, en France, dans les plaines calcaires, les sources avaient disparu, les puits étaient taris ; les troupeaux devaient faire de longues routes sous l’ardeur du soleil, au milieu des tourbillons de poussière, pour arriver au bord des rivières. Que de temps perdu, que de forces rendues inutiles pour les travaux agricoles ! Habituellement les fermes du Bocage, surtout celles qui sont anciennement bâties, sont placées tout près d’une source qui ne tarit que rarement ; beaucoup d’entre elles n’ont pas de puits. Cette bonne fortune d’avoir partout des eaux jaillissantes, l’intérêt évident que le fermier trouve à vivre au centre de ses cultures, ont produit l’isolement des habitations rurales. Dans des pays fertiles, mais moins privilégiés pour l’eau, on voit les maisons se grouper autour des sources, et ces agglomérations devenir des villages, des bourgs ; l’abreuvoir, le lavoir, y sont propriété commune, et, pour jouir de ces avantages, le cultivateur se résigne à vivre éloigné des terres qu’il fait valoir comme fermier ou comme propriétaire. Dans le Bocage au contraire, les villages, les bourgs, ont peu d’importance ; ils ne servent qu’à réunir les fonctionnaires de la commune ou du canton, les ouvriers et les habitans aisés qui ont plus de loisir et recherchent un peu de société. On se tromperait fort si l’on jugeait le pays sur cette médiocrité des chefs-lieux ; ce n’est pas dans ces centres nominatifs qu’est la vraie richesse, la richesse active. Elle est partout, et on ne peut l’apprécier que par une connaissance intime de tous les élémens qui la composent.

La nature a doué le Bocage d’un sol que sa profondeur rend susceptible d’une amélioration pour ainsi dire indéfinie. Ce fait semble contredit par l’existence des rochers qui, de toutes parts, émergent à la surface. On est tenté de croire au premier abord qu’ils sont les affleuremens d’une masse souterraine compacte, et que le Bocage est un immense banc de roches, à peine recouvert de terre, dont les sommets se dressent de tous côtés. Cependant ces rochers ne sont que des accidens du terrain primitif ; ils sont généralement isolés au milieu du sable siliceux qui compose le sous-sol, souvent au milieu même de la terre végétale ; ils sont ainsi disséminés sans ordre, sans lois apparentes, comme des noyaux de matière plus lourde que la force centrifuge et la force d’éruption ont dispersés et lancés à la surface. La seule loi qui préside à la distribution de ces rochers, c’est qu’ils se présentent plus volontiers sur les hauteurs. Le sommet aigu d’une colline offre assez habituellement une masse éruptive de pierres énormes, ayant quelquefois une base de granit compacte qui semble la racine de cette sorte de végétation pierreuse. Les paysans du Bocage disent que ces rochers ont poussé et poussent encore ; ils peignent assez bien ainsi l’effet qu’ils produisent à la vue.

Lorsque ces roches forment le sommet d’une masse souterraine, on les exploite quelquefois pour les constructions ; mais ce cas est l’exception. Les carrières de granit couché par lits même irréguliers sont rares dans le Bocage,