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ne me fait rien, à moi ; j’étais aussi fière d’être à lui que s’il eût été le plus honnête homme du monde. On ne m’a jamais parlé de vertus dans mon enfance, et mon maître n’a point refait mon éducation…

— Vous êtes une mauvaise créature, reprit doña Jacinta avec indignation.

— Peut-être bien, madame, mais ce n’est pas ma faute. Depuis qu’il vous a ramassée dans la forêt, mon maître a repris ses grands airs, il m’a traitée avec dédain, et toutes ses gracieusetés ont été pour vous et pour votre mari… Pourquoi aurait-il agi de la sorte, si ce n’était pour vous tromper tous les deux ?… Il était ennuyé de moi, et vous lui plaisiez ! Il m’en coûte de l’avouer, mais enfin vous êtes belle, et votre mari était de trop sur la terre…

Doña Jacinta ne répondit rien ; les révélations insidieuses de Cora faisaient naître dans son esprit des soupçons qu’elle cherchait vainement à écarter. L’homme en qui elle avait cru voir un généreux protecteur, un ami dévoué, n’était-il donc qu’un monstre, l’assassin de son mari ? Il y avait dans les manières de Hopwell une distinction native, il appartenait évidemment à une race noble ; mais n’avait-il pas parlé lui-même des étourderies de sa jeunesse ? n’avait-il pas dit : « J’ai un passé à expier ? » Ces réflexions plongeaient la femme du Cachupin dans de nouvelles angoisses ; elle désespérait de nouveau du retour de son mari, et tremblait à la pensée de se trouver à la merci d’un étranger déloyal, capable de tous les crimes.

— Cora, dit-elle enfin, si vous mentez, c’est bien mal à vous… Vos paroles redoublent mes inquiétudes, et je ne me crois plus en sûreté ici…

— Madame, reprit Cora, vous me trouviez trop franche tout à l’heure quand je vous parlais de moi ; pourquoi le serais-je moins en parlant de mon maître ?… Il a peut-être l’intention de vivre à présent comme un quaker, mais enfin vous voilà seule avec lui, et dans l’abandon où vous êtes réduite, il faudra bien que vous l’épousiez.

— Jamais ! jamais ! dit la femme du Cachupin.

— Vous dites cela aujourd’hui ; nous verrons bien dans quelque temps. Croyez-vous donc qu’il soit si facile de résister à mon maître quand il s’est mis quelque chose en tête ? Son plan était irrévocablement arrêté au moment où il jetait don Pepo dans l’abîme..

— Je suis donc perdue ! s’écria doña Jacinta, livrée sans défense aux entreprises d’un homme capable de tout !

— Petite madame, répliqua Cora, laissez-moi faire ; s’il a son plan arrêté, j’ai le mien aussi.

Après avoir ainsi parlé, Cora disparut, laissant doña Jacinta plus tourmentée, plus désespérée qu’elle ne l’avait jamais été. La femme