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des stigmates[1] auxquels il n’était pas destiné. Les insectes, surtout ceux qui vivent de butin et pénètrent jusqu’au fond des corolles pour y trouver leur propre vie, sont encore des agens très actifs de croisement. Leur corps se couvre de poussière fécondante ; ils la transportent avec eux, la secouent pour ainsi dire de fleur en fleur, et si la fécondation est possible, il est clair qu’elle doit s’accomplir. Or, de race à race, elle n’est pas seulement possible, elle est extrêmement facile et se passe journellement sous nos yeux.

La constatation de ce fait suivit de près la découverte de l’existence des sexes chez les végétaux. Dès 1744, Linné attribua au croisement l’apparition des tulipes flambées ou panachées qui se montraient au milieu des semis de graines provenant de fleurs unicolores. Cette observation a été cent fois confirmée, non pas seulement sur la tulipe, mais sur une foule d’autres plantes. En même temps, on reconnut qu’à la suite de ces unions croisées toutes les parties de l’organisme végétal pouvaient présenter un mélange de caractères analogue à celui qu’avait trahi la coloration des tulipes. Parmi tous les exemples que nous pourrions citer ici, nous en choisirons un dû à M. Naudin, aide-naturaliste au Muséum, et qui s’est occupé depuis plusieurs années avec un remarquable succès de toutes les questions se rattachant à celle que nous traitons nous-même. Dans une seule année, cet observateur suivit avec soin le développement de plus de douze cents courges ; il vit les graines extraites d’un même fruit reproduire toutes les races que renfermait le jardin livré à ses études. Or on sait combien les courges diffèrent entre elles sous le rapport de la forme, du volume, de la qualité, etc. — Certes aucun fait ne peut mieux démontrer l’égalité de l’action exercée par les poussières fécondantes de ces individus, si différens en apparence ; rien ne peut mieux démontrer que de race à race, quelque disparates que soient les caractères acquis, la fécondation s’opère avec la même facilité qu’entre les individus le plus entièrement semblables entre eux.

Nous retrouvons exactement les mêmes circonstances dansée métissage naturel et spontané des animaux. Bien plus, facilité par la locomotion dont jouissent ces derniers, il s’accomplit journellement dans nos fermes, dans nos maisons, dans nos basses-cours, dans nos chenils, malgré les efforts et la surveillance du maître. Tous les éleveurs savent par expérience que la difficulté n’est pas de croiser les races, mais bien de les maintenir pures en empêchant le sang étranger de venir se mêler à celui que l’on préfère. Là aussi se constate bien souvent chez les mères mal gardées cette égalité d’action

  1. Le stigmate est l’extrémité, du pistil organe femelle, sur laquelle le pollen se dépose lors de la fécondation.