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rarement. L’intervention active de l’homme a considérablement multiplié ces unions ; mais, chose bien remarquable, elle n’a presque pas reculé les limites de l’hybridation. Linné avait cru au croisement entre espèces de familles différentes. On reconnut bientôt qu’il était allé beaucoup trop loin. Dès 1761, Kœlreuter fit connaître les premiers résultats des belles recherches qu’il continua pendant vingt-sept ans, et posa les règles qu’ont de plus en plus confirmées toutes les recherches entreprises depuis lors. Or parmi les lois découvertes par Kœlreuter, il en est une qui ne souffre pas d’exception. Jamais on ne parvient à croiser des espèces appartenant à deux familles différentes[1]. Entre genre différens même, l’hybridation est très rare, toujours difficile, ou même impossible dans certaines familles. Enfin il est des familles entières qui paraissent se refuser d’une manière absolue au croisement des espèces, nous citerons surtout celle des cucurbitacées, si bien étudiée par M. Naudin, et où nous avons constaté un croisement de races si facile, si universel.

Dans les genres où l’hybridation est le plus facile, lorsqu’on opère sur les espèces qui se prêtent le mieux à l’expérience, de grandes et très minutieuses précautions sont toujours nécessaires pour accroître les chances de succès. Il faut isoler absolument la fleur qui doit jouer le rôle de mère, enlever avec soin toutes les étamines avant que le pollen ne soit développé, déposer sur le pistil avec un pinceau le pollen emprunté au père et maintenir l’isolement jusqu’à ce que la réussite de l’opération soit hors de doute. En dépit de toutes ces précautions, on échoue souvent, tant il est vrai que l’hybridation, sans être complètement en dehors des lois de la nature actuelle, ne semble pouvoir se montrer qu’à titre d’exception. Deux faits généraux, bien propres à faire sentir la différence qui existe entre le croisement des espèces et le croisement des races, ressortent d’ailleurs de toutes les recherches poursuivies dans cette direction. Kœlreuter et tous ses successeurs déclarent que toute fleur ayant subi, même le moins possible, l’action du pollen de sa propre espèce devient absolument incapable d’être fécondée par un pollen étranger. Quelle différence avec l’égalité d’action que nous ont si bien montrée les pollens des races les plus éloignées ! En outre tous les expérimentateurs s’accordent à reconnaître que, dans l’hybridation, la fécondité est toujours remarquablement diminuée, et parfois dans d’énormes proportions. Ici encore il y a opposition complète entre elle et le métissage, qui ne diminue pas, qui au contraire accroît parfois cette même fécondité.

Le croisement artificiel des espèces présente chez les animaux

  1. Je crois devoir rappeler aux lecteurs peu familiers avec le langage des naturalistes que les mots famille et genre sont pris ici dans un sens technique, et désignent des groupes de valeur différente dans la classification des végétaux et des animaux.