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LA
NEMESIS DIVINA
ECRIT INEDIT DE LINNE

Au commencement de son livre sur le Système de la Nature, Linné s’écrie, dans ce style original et intraduisible qu’il a créé : « J’ai vu passer Dieu éternel, infini,… Deum sempiternum, immensum, omniscium, omnipotentem expergefactus a tergo transeuntem vidi et obstupui ! » Par les degrés de l’abstraction, le génie de Linné s’était élevé jusqu’aux sphères de la vérité idéale et de l’idée religieuse. Newton, en entendant nommer Dieu, se découvrait. On sait par combien de côtés l’intelligence universelle de Leibniz s’échappait vers la métaphysique et la théologie, et comment sa recherche passionnée d’une cause générale, contenant en soi toutes les causes particulières, le conduisait jusqu’à Dieu.

Les pages dans lesquelles ces grands esprits ont exprimé spécialement leurs sentimens religieux forment dans leur œuvre générale comme une œuvre particulière digne d’attention et instructive aussi pour le reste des hommes. C’est ce qui rend intéressant, au moins pour le moraliste et le biographe, un manuscrit de Linné conservé aujourd’hui à la bibliothèque d’Upsal, et intitulé par l’auteur Nemesis divina. Ce petit ivolume, de 203 feuillets du format in-12[1], est écrit tout entier de la main de Linné, tantôt en suédois, tantôt en latin. L’écriture, partout uniforme, est extrêmement fine et souvent difficile à lire, différant beaucoup en cela de l’écriture bien connue des lettres innombrables de Linné, généralement claire et ferme.

  1. Le feuillet 112 manque, mais depuis assez peu d’années, puisque M. Fries, le savant botaniste d’Upsal, le cite fort heureusement tout,entier dans une thèse inaugurale publiée en 1848. Si ce feuillet a été dérobé, comme quelques feuillets du célèbre et unique manuscrit d’Ulphilas, espérons qu’il sera, comme ceux-ci, rendu par le coupable à son lit de mort.