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ports de l’Inde à tous les pavillons, à tous les produits. Aujourd’hui John’s company n’existe plus qu’à l’état fossile, et au colossal mastodonte d’un monde merveilleux, d’une ère mercantile passée et glorieuse, a succédé la laborieuse, mais sage administration de la reine Victoria.

Aux États-Unis, des effets à peu près semblables furent produits par des causes très différentes. L’Asie, la vieille terre des merveilles, avait déjà traversé son zénith de splendeur, lorsqu’elle eut la mauvaise fortune de faire connaissance avec les armes civilisatrices des puissances chrétiennes. Il y avait décadence, mais une décadence qui avait un brillant passé, et que relevaient encore de magnifiques vestiges d’art dans la plus noble acception du terme. Le Nouveau-Monde, au contraire, n’avait ni passé, ni histoire, ni arts, ni littérature ; tout se bornait à des combats journaliers avec les peaux-rouges, que les civilisateurs lancés sur le sol du nouvel hémisphère voulaient détruire à tout prix. Les premiers blancs qui s’aventurèrent sur ce prolongement des découvertes de Christophe Colomb et d’Améric Vespuce furent plus ou moins des boucaniers, peu portés aux arts et grands amateurs du bien d’autrui. À la longue, et pour vivre, il fallut défricher et planter, afin de récolter et de se nourrir. Puis l’émigration européenne se jeta sur ces plages libres, qui bientôt produisirent en raison directe de l’influx d’habitans. Le trop-plein des greniers ne tarda point à se déverser sur l’Europe. La première balle de coton vint en Angleterre comme un cadeau d’arrière-petits-neveux, une fois prodigues, mais reconnaissans, à une bisaïeule non oubliée. À cette balle merveilleuse succédèrent des millions de balles que les producteurs, trop occupés à peupler le far-west, à tuer des Indiens, à annexer des états, à improviser des villes et à couvrir les fleuves de steamers, ne songèrent nullement à convertir en produits manufacturés. Il leur fallait de l’or pour payer le bill of fav de ces gigantesques fantaisies, de l’or pour donner des esclaves, des outils humains, aux somptueux états du sud, de l’or pour envahir, dominer, créer, et se reposer ensuite dans l’enivrement du succès, un pied sur l’Atlantique et l’autre sur le Pacifique !

Tant que ce travail de titan ne fut pas accompli, la soif yankee ne s’étancha point. L’Angleterre, en attendant, achetait, payait, filait, tissait, consommait et réexportait ces montagnes argentées de riche lainage qui se réalisaient pour elle en montagnes d’or, et les citoyens du Nouveau-Monde, occupés ailleurs, acceptaient sans mot dire les services, comme on le voit, assez bien rétribués de leur ancienne métropole. Bientôt cependant la richesse nationale succédait à l’aisance. La grande république eut une marine marchande rivalisant