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vers Corinthe, pour s’abriter derrière le grand rempart qui coupait l’isthme d’une mer à l’autre, et que les Péloponésiens réparaient jour et nuit : la route était donc encombrée de fugitifs sur lesquels venait fondre la cavalerie barbare, qu’elle dispersait ou tuait. Une résistance vigoureuse semblait du moins s’organiser de l’autre côté de l’isthme, où Corinthe se préparait aux dernières extrémités ; les villes du Péloponèse lui envoyaient à l’envi leurs milices, et l’on comptait sur les soldats. C’était là l’erreur, et ce fut la source du mal. Le commandement militaire de la presqu’île était toujours aux mains de ce Gérontius que Rufin y avait placé pour ne la point défendre. Quoique ce ministre fût mort depuis un mois ou deux, à l’époque du siège d’Athènes, c’est-à-dire à la fin de décembre 395 ou au mois de janvier 396, rien n’était changé aux instructions du commandant du Péloponèse. Eutrope, qui balayait avec tant de soin sur toute la surface de l’empire les agens de son prédécesseur, avait oublié Gérontius, ou plutôt il le conservait à cause de sa mission qu’il connaissait parfaitement. En réalité, Eutrope approuvait le plan de Rufin vis-à-vis du régent d’Occident, et le laissait exécuter sans en prendre la responsabilité directe : éloigner Stilicon, occuper la Grèce en vue d’une attaque possible des Occidentaux, s’attacher Alaric et les Goths, comme une armée orientale, et tenir par eux l’Italie en échec, telle était la politique de la cour d’Orient, et telle elle fut pendant tout le règne d’Arcadius.

Tandis que les habitans de la Mégaride et de l’Attique cherchaient un refuge dans le Péloponèse, la mer Ionienne se couvrait de navires qui amenaient par bandes nombreuses en Italie des Péloponésiens fugitifs. Ces malheureux apportaient sur la terre d’Occident, avec le spectacle de leur misère, les malédictions de leur patrie contre le gouvernement d’Orient. Parmi eux se trouvaient ciel députés de Corinthe qui venaient implorer l’assistance d’Honorius, et assuraient que leur ville pouvait tenir au moins jusqu’au printemps ; la vue de ces émigrans et leurs cris de détresse émurent profondément l’Italie : peuple, armée, sénat, tout le monde demanda qu’une prompte intervention vînt sauver des voisins, des amis, des frères. Il n’y eut pas jusqu’à Honorius qui, touché peut-être par ses réminiscences classiques, montra dans la circonstance une chaleur inaccoutumée : on dit qu’il ordonna lui-même à son tuteur de préparer une flotte et une armée d’expédition pour aller au secours de Corinthe. Stilicon n’eut garde de différer, et à peine les vents d’équinoxe laissèrent-ils la mer libre que la flotte cinglait vers la Grèce, sous le commandement même du régent ; mais elle arrivait déjà trop tard. Le mur de l’isthme avait été forcé par la connivence de Gérontius : Corinthe n’offrait plus qu’un monceau de